“En fidèle compagnon de route de Jules de Gaultier que je suis, je suis tellement intimement persuadé que TOUT est croyance et que personne ne peut vivre sa vie sans se créer quelques indispensables mensonges vitaux qu’à la limite je me fiche de savoir si les gens préfèrent croire en Dieu ou en l’Argent, ou en l’Amour, ou en l’Art ou en l’Alcool… Je ne suis pas plus bouffeur de curés que cela. Je connais des croyants qui sont bien plus tolérants que des athées (et inversement), et dans les deux camps j’ai croisé des gens sympas et des cons finis… Donc, Dieu, le Père Noël, le Dahu, tout ça pour moi c’est kif-kif”.
Stéphane Beau (Le Grognard)
sur le blog “Tempête dans un encrier”
(rubrique commentaires)
Perplexe est le premier mot qui me vient. D’abord, je crois, pour la raison qu’on pressent que la réponse à ces quelques lignes va être longue et complexe. Pourquoi, dans ces conditions, prendre le risque de la réponse? D’évidence parce que sont levées ici des questions assez essentielles pour qui s’inscrit dans la démarche de la pensée. D’abord déconstruire. Jules de Gaultier. Mensonge vital, bovarysme, notions relativement performantes. Nul ne peut nier que chacun d’entre nous ne tient debout devant le tragique de l’existence qu’en raison d’une propension à s’inventer des fables, souvent personnelles, parfois collectives. La racine de ces notions est évidemment à chercher dans Nietzsche et se retrouve chez ses successeurs, Rosset, par exemple, dans “ Le Réel et son double”. On peut donc admettre, en effet, que “TOUT est croyance”, ce qui ne dit rien sur le “tout”. Prise dans son sens brutal, cette formule implique plutôt un “tout se vaut” qu’une lumière quelconque sur la problématique. Or, à mon sens, rien n’est pire dans l’univers de la pensée que le “tout se vaut”. Cette formule ne dit rien sur les parties du tout mais dit beaucoup sur l’esprit de celui qui la proclame. En ce sens, le “tout se vaut” est un individualisme puisqu’il affirme la conviction intime de l’auteur, qui, d’ailleurs, aura sa propre conception du tout, le “tout” d’icelui pouvant différer du “tout” de tel autre. Pour en finir avec Jules de Gaultier, premier volet de la déconstruction, signalons la polémique autour du terme “d’anarchiste de droite”, débat qui vaut également pour G. Palante. Or, il est évident que si le “Tout est croyance” peut s’envisager comme possiblement de gauche ou de droite, le “tout se vaut”, lui, ne laisse pas de place au doute: il est de droite. Si vous me lisez, vous savez que je n’ai pas de meilleure définition de “droite et gauche” que la deleuzienne. Il est évident qu’à cette aune, “tout se vaut” est de droite lorsque “tout est faux” peut être de gauche. Débat germanopratin, me direz-vous? Certes. Mais l’enculage de mouches est le mensonge du penseur. A noter, au passage, que se réclamer de Jules de Gaultier est, au sens strict, un mensonge vital. Proférer la citation qui préside à ce texte est de l’enculage de mouches. Nous y sommes, s’il vous plaît, restons-y et ne saisissons pas la moindre occasion d’échapper au débat. Le débat est bel et bien celui du nietzschéisme de gauche. Nietzsche nous enseigne la mort de dieu, concept qu’il faut entendre, à mon avis, comme la mort du mythe divin, par l’humain même inventé, par l’humain rejeté, qui détruit la figure divine par ses comportements, qui tue lui-même ce qui lui est nécessaire. Mais Nietzsche nous enseigne également que toute tentative de remplacer dieu par autre chose, l’amour, l’argent, le bonheur (terme exempt de la récession de S. Beau), l’Art, la littérature (id..)... (trois petits points prudents signifiant que j’en oublie...) est vaine. Nous sommes seuls, abandonnés, nous avons un destin tragique, rien ne peut nous en préserver outre “la danse” et la “consommation de légumes” (Nietzsche) ou la “joie” (Rosset), ou bien le mythe de “l’homme nouveau” (Robespierre), le stakhanovisme (Staline), la “révolution culturelle” (Mao), le fait d’être né imbécile heureux (tous...) ou bien aveugles (tous depuis l’antiquité...)... Peut-être devrais-je ici rappeler le cynisme de philosophes anciens, Pascal ou Spinoza, par exemple, qui ont un temps considéré qu’il était bon, pour le “peuple”, de croire, puisque la foi impliquait un comportement “honnête” dans l’existence. Bon pour la plèbe, entendez “dont l’exclusion est réservée à une élite”: nous sommes bien ici dans un débat “gauche-droite”. Débat dont on peut exclure, par l’argumentation, celle de M. Onfray, par exemple, Palante et de Gaultier, mais exclusion qui ne soustrait pas de l’analyse les quelques uns qui se réclament des grands aînés, et qui, eux, se doivent de répondre de l’ampleur de leur propre “mensonge vital”. La réponse évidente de ces “suiveurs” étant, évidemment, de s’appuyer sur leur intime conviction pour vous renvoyer sur votre propre faiblesse présupposée: votre mensonge vital. La confusion devient la règle. Les poulpes connaissent très bien ce procédé: quand vous croyez les tenir, ils vous envoient un nuage d’encre.
En quoi la citation choisie peut-elle s’apparenter à un nuage d’encre? Reprenons: dieu (majuscule dans la citation... en quoi un concept mériterait-il une majuscule?).. J’y reviendrai. L’argent: majuscule, de nouveau... J’entrevois le mythe ciblé. Nous sommes ici dans la dénonciation. Le mythe de l’argent roi contre l’humain. Il s’agirait donc d’un humanisme. L’Homme (majuscule) vaut mieux que l’argent. Bien!... Contradiction, néanmoins, entre le mépris affiché pour ces “pauvres” gens qui ne savent que “croire” et l’incitation à surmonter ses failles. Situation très nettement “au-dessus”. Moi, l’argent, hein!... Pour les “pauvres” gens, l’argent est tout sauf un luxe. Le moyen d’acheter à manger pour ses enfants. D’accord, les “pauvres gens” ne rêvent, hélas, que de s’acheter une BMW ou un écran plat de trente mètres de large, mais, dans les faits, ils ne font que bouffer.... Une faille entre la réalité et l’idée qu’on se fait du réel. Le réel et son double, le mensonge vital... Immédiatement convoqués. Peut-on parler de mépris? Pourrait-on d’ores et déjà classifier en “droite-gauche”? Par esprit ludique, il ne s’agit que d’un jeu, suspendons les conclusions... L’amour (majuscule encore!...): là, de suite, désolé, on entame dans le psychologique. Désolé, vraiment!... Suis-je ou non aimé? Suis-je ou non capable d’aimer? Deux débats aussi éloignés qu’il est possible d’imaginer. Qu’est-ce que l’amour? Sous l’angle “mensonge vital”, un régal. Sous l’angle “qui suis-je” une catastrophe. Comme chacun d’entre nous, l’auteur a une vie sentimentale. Mais l’amour, évidemment, c’est un phantasme bon pour les autres. Dois-je m’aventurer au-delà? Il dit: “mensonge vital”. L’art (majuscule de nouveau...) Parmi les arts, retenons, simplification outrageuse, la littérature et la philosophie (qui n’est pas un art au sens strict..).... Avant de continuer, stipulons, évidence, que l’auteur s’inclut effectivement lui-même dans le concert général et ne songe à aucun moment à nier que lui-même puisse succomber au vertige du mensonge vital. Pour autant, son discours n’en est pas moins signifiant. S’il est d’apparence indestructible, il reste que les détails choisis n’en sont pas moins révélateurs. Le diable est dans les détails, dit-on (Gustave Flaubert, le premier, a employé ce dicton, si l’on en croit certaines sources mais d’autres l’attribuent au grand Michel-Ange ou à l’architecte Le Corbusier). Nous pourrions voir ici une volonté de s’extraire, d’emblée, de la critique. Avancer une idée sans s’avancer soi-même. Au risque, évident, de discréditer soi-même ce qu’on annonce. Pourquoi citer J de Gaultier si c’est pour, à la première objection, reconnaître que s’imaginer comprendre J de Gaultier n’est rien d’autre qu’un mensonge vital? Pourquoi, si ce n’est pour préserver dès l’abord son propre mensonge vital? La littérature, donc, à quoi l’auteur s’adonne, non sans avoir, à priori, annoncé qu’il ne s’agissait là que d’une marotte et jamais au grand jamais d’une passion illusoire. Rien, là, de sérieux ni d’essentiel (Qu’est-ce qu’être écrivain est l’un de ses questionnements..). La philosophie, à quoi l’auteur se réfère sans cesse, participe, sur mains supports, mais qui, encore une fois, n’est jamais décrite que comme un passe-temps favori, une lubie, une béquille... Au total, une seule question: pourquoi, dans ces conditions philosopher ou écrire? D’une manière grossière, je ne résiste que rarement à la grossièreté, on dirait: avoir le cul entre deux chaises. Des tentatives à la petite semaine, s’engager un peu sur la voie de la proclamation, de l’affirmation, mais le faire avec suffisamment de préalables pour que, le cas échéant, l’échec ne bouleverse pas l’ordre établi. Le contraire de l’engagement artistique. Le tout sur le tout, disait Henri Calet. On en est ici très loin. Mais il y a néanmoins proclamation. Quelle en serait l’utilité? Il me paraît certain qu’il ne s’agit que de nuage d’encre, d’accréditation de compétence, compétence dont l’usage unique est de renvoyer à ses chères études quiconque s’aventurerait à la critique. Dernier point soulevé: l’alcool (majuscule encore). Pourquoi l’alcool plus que les drogues en général? Que faut-il déceler dans ce choix? Doit-on entendre l’alcool en son sens populaire, le litron de rouge quotidien, l’abrutissement journalier, ou bien l’alcoolisme mondain, l’absynthe, l’alcool des “artistes”, tels Verlaine, Appollinaire, Bukowsky, etc.. L’alcool comme refus de voir la réalité ou bien l’alcool comme soutien au tragique de qui l’aurait côtoyé d’un peu trop près? Sur ce sujet, il me faut l’avouer, je n’ai aucune objectivité, puisque, moi-même m’adonne à la pochtronerie plus souvent que raisonnable. Cela ne m’empêche pas de m’interroger: que vient faire l’alcool dans cette liste non exhaustive de “mensonges vitaux” de ce qu’il pourrait être convenu de nommer “première catégorie”? Me trompé-je en affirmant que la consommation d’alcool peut être considérée comme un mensonge secondaire? Peut-être la réponse à cette question ne peut-elle être envisagée avant que d’avoir abordé le sujet principal de ce texte: dieu (majuscule encore). Par à-priori, je me méfie des gens qui disent que dieu n‘est pas pour eux un problème, ou qu’il n’est pas un problème plus important que d’autres, et l’expérience m’a démontré que ce type d’allégation cache souvent une certaine sympathie de fond pour la religion, le divin, l’idée d’un être supérieur, voire d’un concept, d’une idée ou d’un principe supérieurs. Dieu, contrairement à l’art, l’amour et l’alcool, sous-entend une morale. Le cas de l’argent est plus complexe, puisqu’on peut envisager que l’amour strict de l’argent sous-entend lui aussi une morale. Par contre, on peut adorer dieu, sous toutes ses formes, et, dans le même temps s’adonner à l’amour de l’art, de l’amour, de l’alcool.. Sauf que, suivant que l’on croie ou non en une figure divine, ces amours sont plus ou moins colorées, licites, culpabilisantes. Si vous croyez en dieu ou pas, par exemple, Claudel vous emmerde (comme dirait Brassens, lui-même fervent croyant..) ou pas... Sauf que si vous croyez en dieu ou non, vous voyez en Michel Ange (encore lui, décidément!..) le peintre des anges ou bien celui du sexe des anges (le diable est dans les détails!..), sauf que, si vous croyez en dieu, vous pratiquez la charité et n’avez, donc, pas tout à fait le même abord à l’argent qu’un mécréant, sauf que si vous croyez en le dieu des musulmans, par exemple, l’alcool vous est interdit mais pas son amour... Parmi tous les exemples cités par l’auteur, donc, dieu me semble un concept à part. Il est, en tous cas, beaucoup plus clivant que les autres. Ne pas le voir, ne pas le souligner, de quoi est-ce l’indice? D’une indulgence? D’une sympathie? D’un aveuglement? D’un mensonge vital? La remarque finale sur la sympathie plus ou moins avérée, la tolérance plus ou moins grande d’un côté ou de l’autre est à ce titre, et à mon avis, très enseignante. Dirait-on, par exemple, qu’on connaît des alcoolos plus ou moins tolérants? Des artistes plus ou moins ouverts? Des amoureux plus ou moins fréquentables? Evidemment non. C’est bien, en soi, attribuer à l’idée de dieu, de religion, un pouvoir clivant exceptionnel. Souligner que les deux camps peuvent être renvoyés dos à dos, c’est, avant tout, entériner l’existence de deux camps. En ce sens, j’en suis certain, ce texte n’est que périphrase. Le problème est bien dieu, l’idée de dieu, qui ne se compare à rien. On peut être artiste et alcoolique ou non, croire ou non en dieu, aimer aimer ou non, être vénal ou non, rien à faire: ce qui va se voir en premier est la référence au divin. C’est ce qui va déterminer l’orientation de l’oeuvre.
Perplexe, disais-je, parce que la première impression ressentie à la lecture de ce court texte était bel et bien que j’avais affaire à un plaidoyer involontairement déiste. Mais, plus grave, à mon sens, mon malaise venait de l’impression (soleil levant), du ressenti, d’une inclination à l’extrême-droitisme. Impression soulevée par le positionnement de l’auteur qui se place lui-même en sachant, à part, au-dessus. Mythe heideggerien de la montagne, mauvaise compréhension de Nietzsche, la totale. Nietzsche n’est pas, ne peut pas être, l’idéologue de l’extrême droite qu’on voudrait nous imposer. Il n’est pas dangereux, définitivement, parce qu’il n’est que pensée. La réponse la plus malhonnête à cette affirmation est que croire Nietzsche exempt de critique est un mensonge vital en soi. Il est évident que seule la compréhension, l’interprétation, de Nietzsche, peuvent amener à des dérives non incluses dans l’oeuvre initiale. Le meilleur exemple est Heidegger. Nietzsche peut se comparer à un alcool trop fort, du genre mescal, hallucinogène, et à ne pas mettre entre toutes les mains. N’allez pas conclure que je me vanterais d’en être. Nietzsche continue de me poser beaucoup de problèmes. Mais, s’il est admissible qu’il a dénoncé sans ambages et sans espoir de retour, à moins qu’il ne soit lui-même éternel, toute croyance, en commençant par dieu, et en soulignant que, plus jamais, aucune autre croyance ne pourrait remplacer celle-ci, aucune, serait-elle, par exemple, politique, occurrence qui ne fait pas partie des quelques unes envisagées par notre auteur, rien, donc, ne pourrait jamais nous consoler de la perte de dieu, il n’a pas, quant à lui, établi de hiérarchie entre les possibles qui s’offrent à l’esprit humain pour combler ce vide, n’a énoncé aucune aristocratie dans les croyances, ne s’est pas placé, lui, d’un point de vue individuel, si ce n’est, finalement, pour conseiller la danse. Toutes les interprétations brutales de ce philosophe délicat sont dictatoriales, sans exception. Pourquoi, après toutes ces années, est-il encore possible de s’aveugler sur son côté néfaste pour ses interprètes? A part Rosset, qui a ressenti la nécessité de promouvoir la “joie” en manière de remède au poison nietzschéen, ou Deleuze, peut-être, l’histoire de la pensée post-nietzschéenne regorge de dérives impérialistes. La plus évidente preuve de ces allégations nous vient de l’adhésion ou non au mythe de la “montagne”, heideggerien, hitlérien, le mythe de la race supérieure, phénotypiquement ou intellectuellement, de tous ceux qui se jugent au-dessus de tout ça, en particulier de l’idée très empoisonnante de dieu et qui la renvoient, avec d’autres, d’un revers de main. Un revers de main qui se voudrait claque et qui n’est qu’aveu de faiblesse.
lundi 12 octobre 2009
Inscription à :
Publier les commentaires (Atom)
Essentielle essence ! Mon Cher Pascal ! Vous démarrez au quart de tour de manivelle et vous carburez, ogive pointée vers l'Infini, en brûlant, sans oxyde de carbone, tous les dieux de la terre, égyptiens, grecs…ou contemporains ! Vous êtes en cela le plus grand des missionnaires, dit sans vouloir vous peiner. Vous êtes donc irremplaçable et prêt au sacrifice suprême. Chapeau bas devant Monseigneur !
RépondreSupprimer