vendredi 23 octobre 2009

Confusion glucksmannienne

Glucksmann fait la tournée des popotes pour promouvoir son dernier opus (espérons que c’est le dernier!..), qu’il présente lui-même comme son testament, rien de moins. Cette fois, plus de doute: papy sucre les fraises...

Parmi toutes les horreurs que j’ai relevées dans son discours de tournée publicitaire, je retiens, point dialectique, son choix d’opposer Heidegger à Socrate, en tant qu’ils représenteraient les “deux chemins de la philosophie”... D’après ce que j’en ai saisi, le clivage essentiel tiendrait à l’enracinement. C’est audible. Ce qui me turlupine, c’est le choix de Mr G.. Les bases de ce choix, pour commencer. Le bien et le mal, évidemment. Je suis plutôt de ceux qui pensent que bien et mal sont des notions tout à fait relatives, culturelles, dont la définition varie au cours du temps mais, pire, qu’il n’y a ni bien ni mal: il y a. Dès l’abord, ce choix me semble faire l’impasse sur le pan de la pensée qu’on pourrait appeler nietzschéenne, si l’on inclut dans ce terme ses racines. Soupçon confirmé par une phrase prononcée lors de l’entrevue: “Philosopher, c’est révéler ce qui, en nous, est inhumain”... Cette phrase absolument hors de logique n’est tout simplement pas celle d’un philosophe. Vous n’aviez pas attendu après moi pour savoir que Glucksmann n’est pas philosophe? Je confirme, en tous cas. Mr Glucksmann!.. Si c’est en nous, ce n’est pas inhumain!... Au sens moral, il se peut de considérer une chose comme inhumaine. A la condition de définir cette morale. De tracer une ligne bien nette entre bien et mal. Ce que vous faites, implicitement. Ce qui en dit long sur votre pensée. Mais le mal, André, il est en nous, pas inhumain. Humain trop humain, pourrait-on dire. Indéniablement, vous avez fait l’impasse sur Nietzsche. Sur Freud également. Pour un philosophe du vingtième siècle, c’est assez surprenant. Défaut de vision, manque de recul, confusion, mise “sur le même plan” de morale et ontologie. Philosophe?...

Socrate est le dernier philosophe préplatonicien, et pour cause, puisque Platon était son disciple. Vous savez mon goût pour Nietzsche et le sien pour les préplatoniciens. En tant qu’ils sont étrangers à l’idée d’éternité de l’âme. Platon est l’inventeur de la religion du livre. Religion du livre à quoi il me semble que Mr G. n’est ni indifférent ni étranger. Socrate ne fait pas partie de cette histoire. D’où mon étonnement pour ce choix. André nous dit que, pour lui, Socrate, c’est la sigüe. La mort dans la sagesse. Tous les modernes considèrent cette idée comme un contresens absolu. Socrate n’est pas celui qui nous enseigne que la sagesse serait de savoir mourir ou bien d’apprendre à mourir. Un philosophe mais alors du dix neuvième, Mr G.?

Autre pôle de la réflexion glucksmanienne, Heidegger. Heidegger en tant qu’il est l’image de l’authentique philosophe qui se fourvoie dans le mal absolu, le nazisme. Question: comment un vrai philosophe peut-il s’égarer à ce point? Là, Mr Glucksmann, j’ai envie de vous renvoyer à votre miroir. Contradiction. Si vous êtes philosophe, expliquez vous-mêmes vous égarements. Ou bien, peut-être, alors, admettez-vous vous-même que vous ne l’êtes pas? Poser la Shoah comme le mal absolu, et non comme l’une des facettes du mal absolu, c’est évidemment un choix. Quid de Voltaire esclavagiste, par exemple? Poser la Shoah comme le mal absolu, c’est évidemment désigner Heidegger, par logique pure, comme le représentant de la branche de la philosophie à quoi on ne veut souscrire pour rien au monde. Le but initial de Mr G. étant de séparer la philosophie en deux “chemins”. Cela frise la tautologie. La conclusion et l’hypothèse se confondent.

Si l’on retient, par exemple, le refus nietzschéen d’une chronologie dans l’histoire de la pensée, il paraît alors, et d'emblée, illusoire de créer deux chemins très nettement séparés dans l’histoire de la pensée. Cette thèse prend l’eau de toutes parts. De plus, l’impasse sur Nietzsche se confirme. Or, dites-le moi, comment peut-on comprendre Heidegger sans la clé que représente la pensée nietzschéenne? Et à qui Nietzsche doit-il sa réputation de philosophe nazi, ayant inspiré le nazisme, si ce n’est à Heidegger, qui le considérait, d’ailleurs, comme nihiliste, soulignant, par là, son inclination à penser la transcendance en terme de foi ?

La seule voie que je parviens à distinguer en philosophie, c’est celle qui commence avec Aristote et Platon et qui, à mon avis, égare la philosophie dans la question théologique. Ironie, cette idée semble celle qui a présidé à l’oeuvre de Heidegger qui, on le sait, considère effectivement l’hypothèse d’une “parenthèse” commençant à Platon. Peut-être faut-il voir ici la raison profonde du choix de Mr G. pour Socrate. Comme un désir de combattre Heidegger sur son propre terrain. Peut-être montrer que c’est en condamnant Platon et, conséquence, la “religion”, que Heidegger s’égare. Comme l’affirmation de la nécessité d’une croyance pour l’Homme. Mr G. partagerait donc, avec beaucoup de philosophes post-platoniciens, cette idée qu’il est bon de croire pour le peuple.

jeudi 15 octobre 2009

Parenthèse

Je viens de me rendre compte (des fois, la lumière des étoiles met du temps à me parvenir!..) que je partage au moins une idée avec Nietzsche, idée qui n’est pas la plus connue de cet auteur. Elle tient à la passion nietzschéenne , de l’homme, pour la philosophie antique, et, particulièrement, pour les préplatoniciens. Sa critique de Platon et Aristote est radicale. Et, bien entendu, à cause du mysticisme platonicien. La philosophie post platonicienne est centrée sur la question de dieu. Plus exactement, elle considère, quasi unanimement, dieu comme une question pertinente. La philosophie “officielle” est marquée au sceau de la réflexion sur l’existence ou non d’un dieu. Or, j’ai déjà eu l’occasion de l’écrire, je pense que dieu n’est pas une question. Il est ou pas. Ce qui est question, c’est la croyance, la propension de l’homme, cet animal religieux, à croire. Cet intérêt a été, est, accrédité par un tas de livres, de noms, que, seuls, l’histoire de la pensée semble avoir retenus. Il n’y aurait de philosophie que celle qui circonvolutionne autour de la question de dieu, de la vie éternelle, et de la détestable manie de l’Homme nommée croyance. C’est un point de vue absolument partisan. Les noms ne manquent pas de philosophes athées. Socrate (-470, -399), Lucien (119-192), Diderot, Sade, etc... et Nietzsche, évidemment. Or, par un hasard qui n’en est pas un, l’histoire de la pensée humaine ne retient que les autres. Platon, Kant, Spinoza.... j’en passe et des moins bons. Ce n’est aucunement un hasard du fait de la collusion, encore très actuelle, entre pouvoir et religion. La religion considérée comme moyen de gouverner, évidemment, les esprits, pour asservir les corps.

Cette idée, qu’avec Nietzsche, finalement, je partage, est qu’il existe une autre histoire de la pensée que l’officielle. Une incitation à considérer comme une parenthèse, au cours de laquelle cette pensée se serait égarée sur l’idée, le concept, l’hypothèse de dieu, cette officielle histoire de la pensée. Nietzsche comme moi, ou, plutôt, moi comme Nietzsche, considérons que le premier crochet de cette parenthèse serait à poser sur le nom de Platon et que le second, qui la fermerait, est attribuable à Nietzsche. La différence entre lui et moi, c’est que son génie l’autorise à se considérer lui-même comme étant l’être humain qui ferme cette parenthèse. En théorie, depuis la lecture de son oeuvre, nous devrions avoir changé d’époque pour la pensée humaine. Comme vous avez pu le constater, ce n’est pas le cas. C’est que les forces politiques dominantes n’ont, bien entendu, aucun intérêt à ce que nous nous rendions enfin compte que dieu n’est pas, pas même une question. Dans le langage courant, je pourrais dire: nous avons besoin de piqûres de rappel.

Je suis heureux d’avoir compris, un peu involontairement, et avec une grande naïveté, que je suis l’une de ces vaccinations. La pensée humaine est malade de l’idée de dieu. Une mouche qui se heurte sans cesse à la vitre au travers de laquelle elle voit la nature.

mardi 13 octobre 2009

Annexe à la réponse

Il m’a été donné de donner mon avis sur un certain “philosophe” du nom de Platon, que j’ai alors décrit comme l’image même de “l’homme du ressentiment” au sens nietzschéen. A la fois le créateur de la vie éternelle, de dieu, et son meurtrier. Je m’aventurais alors sur le caractère médiocre du premier des philosophes, puisque, résultat de mes recherches, il apparaît que nous lui devons la distinction entre “sophisme” et philosophie. Difficile de condenser. Disons, que Platon pose une définition de ce qu’est philosopher et qu’il le fait en opposition au sophisme. Or, le sophisme, qui nous apparaît aujourd’hui comme le type même de la masturbation intellectuelle, n’a pour unique objet que la pensée en tant qu’elle est pensée. Platon est donc l’être, à mon avis incroyablement néfaste, qui introduit la notion de rentabilité dans l’exercice on ne peut plus ontologique de la pensée. Selon lui, la pensée doit servir à quelque chose. Il me semble qu’il y a ici un complément pour la compréhension de la réponse que j’ai ci-dessous formulée.

lundi 12 octobre 2009

Réponse

“En fidèle compagnon de route de Jules de Gaultier que je suis, je suis tellement intimement persuadé que TOUT est croyance et que personne ne peut vivre sa vie sans se créer quelques indispensables mensonges vitaux qu’à la limite je me fiche de savoir si les gens préfèrent croire en Dieu ou en l’Argent, ou en l’Amour, ou en l’Art ou en l’Alcool… Je ne suis pas plus bouffeur de curés que cela. Je connais des croyants qui sont bien plus tolérants que des athées (et inversement), et dans les deux camps j’ai croisé des gens sympas et des cons finis… Donc, Dieu, le Père Noël, le Dahu, tout ça pour moi c’est kif-kif”.
Stéphane Beau (Le Grognard)
sur le blog “Tempête dans un encrier”
(rubrique commentaires)




Perplexe est le premier mot qui me vient. D’abord, je crois, pour la raison qu’on pressent que la réponse à ces quelques lignes va être longue et complexe. Pourquoi, dans ces conditions, prendre le risque de la réponse? D’évidence parce que sont levées ici des questions assez essentielles pour qui s’inscrit dans la démarche de la pensée. D’abord déconstruire. Jules de Gaultier. Mensonge vital, bovarysme, notions relativement performantes. Nul ne peut nier que chacun d’entre nous ne tient debout devant le tragique de l’existence qu’en raison d’une propension à s’inventer des fables, souvent personnelles, parfois collectives. La racine de ces notions est évidemment à chercher dans Nietzsche et se retrouve chez ses successeurs, Rosset, par exemple, dans “ Le Réel et son double”. On peut donc admettre, en effet, que “TOUT est croyance”, ce qui ne dit rien sur le “tout”. Prise dans son sens brutal, cette formule implique plutôt un “tout se vaut” qu’une lumière quelconque sur la problématique. Or, à mon sens, rien n’est pire dans l’univers de la pensée que le “tout se vaut”. Cette formule ne dit rien sur les parties du tout mais dit beaucoup sur l’esprit de celui qui la proclame. En ce sens, le “tout se vaut” est un individualisme puisqu’il affirme la conviction intime de l’auteur, qui, d’ailleurs, aura sa propre conception du tout, le “tout” d’icelui pouvant différer du “tout” de tel autre. Pour en finir avec Jules de Gaultier, premier volet de la déconstruction, signalons la polémique autour du terme “d’anarchiste de droite”, débat qui vaut également pour G. Palante. Or, il est évident que si le “Tout est croyance” peut s’envisager comme possiblement de gauche ou de droite, le “tout se vaut”, lui, ne laisse pas de place au doute: il est de droite. Si vous me lisez, vous savez que je n’ai pas de meilleure définition de “droite et gauche” que la deleuzienne. Il est évident qu’à cette aune, “tout se vaut” est de droite lorsque “tout est faux” peut être de gauche. Débat germanopratin, me direz-vous? Certes. Mais l’enculage de mouches est le mensonge du penseur. A noter, au passage, que se réclamer de Jules de Gaultier est, au sens strict, un mensonge vital. Proférer la citation qui préside à ce texte est de l’enculage de mouches. Nous y sommes, s’il vous plaît, restons-y et ne saisissons pas la moindre occasion d’échapper au débat. Le débat est bel et bien celui du nietzschéisme de gauche. Nietzsche nous enseigne la mort de dieu, concept qu’il faut entendre, à mon avis, comme la mort du mythe divin, par l’humain même inventé, par l’humain rejeté, qui détruit la figure divine par ses comportements, qui tue lui-même ce qui lui est nécessaire. Mais Nietzsche nous enseigne également que toute tentative de remplacer dieu par autre chose, l’amour, l’argent, le bonheur (terme exempt de la récession de S. Beau), l’Art, la littérature (id..)... (trois petits points prudents signifiant que j’en oublie...) est vaine. Nous sommes seuls, abandonnés, nous avons un destin tragique, rien ne peut nous en préserver outre “la danse” et la “consommation de légumes” (Nietzsche) ou la “joie” (Rosset), ou bien le mythe de “l’homme nouveau” (Robespierre), le stakhanovisme (Staline), la “révolution culturelle” (Mao), le fait d’être né imbécile heureux (tous...) ou bien aveugles (tous depuis l’antiquité...)... Peut-être devrais-je ici rappeler le cynisme de philosophes anciens, Pascal ou Spinoza, par exemple, qui ont un temps considéré qu’il était bon, pour le “peuple”, de croire, puisque la foi impliquait un comportement “honnête” dans l’existence. Bon pour la plèbe, entendez “dont l’exclusion est réservée à une élite”: nous sommes bien ici dans un débat “gauche-droite”. Débat dont on peut exclure, par l’argumentation, celle de M. Onfray, par exemple, Palante et de Gaultier, mais exclusion qui ne soustrait pas de l’analyse les quelques uns qui se réclament des grands aînés, et qui, eux, se doivent de répondre de l’ampleur de leur propre “mensonge vital”. La réponse évidente de ces “suiveurs” étant, évidemment, de s’appuyer sur leur intime conviction pour vous renvoyer sur votre propre faiblesse présupposée: votre mensonge vital. La confusion devient la règle. Les poulpes connaissent très bien ce procédé: quand vous croyez les tenir, ils vous envoient un nuage d’encre.

En quoi la citation choisie peut-elle s’apparenter à un nuage d’encre? Reprenons: dieu (majuscule dans la citation... en quoi un concept mériterait-il une majuscule?).. J’y reviendrai. L’argent: majuscule, de nouveau... J’entrevois le mythe ciblé. Nous sommes ici dans la dénonciation. Le mythe de l’argent roi contre l’humain. Il s’agirait donc d’un humanisme. L’Homme (majuscule) vaut mieux que l’argent. Bien!... Contradiction, néanmoins, entre le mépris affiché pour ces “pauvres” gens qui ne savent que “croire” et l’incitation à surmonter ses failles. Situation très nettement “au-dessus”. Moi, l’argent, hein!... Pour les “pauvres” gens, l’argent est tout sauf un luxe. Le moyen d’acheter à manger pour ses enfants. D’accord, les “pauvres gens” ne rêvent, hélas, que de s’acheter une BMW ou un écran plat de trente mètres de large, mais, dans les faits, ils ne font que bouffer.... Une faille entre la réalité et l’idée qu’on se fait du réel. Le réel et son double, le mensonge vital... Immédiatement convoqués. Peut-on parler de mépris? Pourrait-on d’ores et déjà classifier en “droite-gauche”? Par esprit ludique, il ne s’agit que d’un jeu, suspendons les conclusions... L’amour (majuscule encore!...): là, de suite, désolé, on entame dans le psychologique. Désolé, vraiment!... Suis-je ou non aimé? Suis-je ou non capable d’aimer? Deux débats aussi éloignés qu’il est possible d’imaginer. Qu’est-ce que l’amour? Sous l’angle “mensonge vital”, un régal. Sous l’angle “qui suis-je” une catastrophe. Comme chacun d’entre nous, l’auteur a une vie sentimentale. Mais l’amour, évidemment, c’est un phantasme bon pour les autres. Dois-je m’aventurer au-delà? Il dit: “mensonge vital”. L’art (majuscule de nouveau...) Parmi les arts, retenons, simplification outrageuse, la littérature et la philosophie (qui n’est pas un art au sens strict..).... Avant de continuer, stipulons, évidence, que l’auteur s’inclut effectivement lui-même dans le concert général et ne songe à aucun moment à nier que lui-même puisse succomber au vertige du mensonge vital. Pour autant, son discours n’en est pas moins signifiant. S’il est d’apparence indestructible, il reste que les détails choisis n’en sont pas moins révélateurs. Le diable est dans les détails, dit-on (Gustave Flaubert, le premier, a employé ce dicton, si l’on en croit certaines sources mais d’autres l’attribuent au grand Michel-Ange ou à l’architecte Le Corbusier). Nous pourrions voir ici une volonté de s’extraire, d’emblée, de la critique. Avancer une idée sans s’avancer soi-même. Au risque, évident, de discréditer soi-même ce qu’on annonce. Pourquoi citer J de Gaultier si c’est pour, à la première objection, reconnaître que s’imaginer comprendre J de Gaultier n’est rien d’autre qu’un mensonge vital? Pourquoi, si ce n’est pour préserver dès l’abord son propre mensonge vital? La littérature, donc, à quoi l’auteur s’adonne, non sans avoir, à priori, annoncé qu’il ne s’agissait là que d’une marotte et jamais au grand jamais d’une passion illusoire. Rien, là, de sérieux ni d’essentiel (Qu’est-ce qu’être écrivain est l’un de ses questionnements..). La philosophie, à quoi l’auteur se réfère sans cesse, participe, sur mains supports, mais qui, encore une fois, n’est jamais décrite que comme un passe-temps favori, une lubie, une béquille... Au total, une seule question: pourquoi, dans ces conditions philosopher ou écrire? D’une manière grossière, je ne résiste que rarement à la grossièreté, on dirait: avoir le cul entre deux chaises. Des tentatives à la petite semaine, s’engager un peu sur la voie de la proclamation, de l’affirmation, mais le faire avec suffisamment de préalables pour que, le cas échéant, l’échec ne bouleverse pas l’ordre établi. Le contraire de l’engagement artistique. Le tout sur le tout, disait Henri Calet. On en est ici très loin. Mais il y a néanmoins proclamation. Quelle en serait l’utilité? Il me paraît certain qu’il ne s’agit que de nuage d’encre, d’accréditation de compétence, compétence dont l’usage unique est de renvoyer à ses chères études quiconque s’aventurerait à la critique. Dernier point soulevé: l’alcool (majuscule encore). Pourquoi l’alcool plus que les drogues en général? Que faut-il déceler dans ce choix? Doit-on entendre l’alcool en son sens populaire, le litron de rouge quotidien, l’abrutissement journalier, ou bien l’alcoolisme mondain, l’absynthe, l’alcool des “artistes”, tels Verlaine, Appollinaire, Bukowsky, etc.. L’alcool comme refus de voir la réalité ou bien l’alcool comme soutien au tragique de qui l’aurait côtoyé d’un peu trop près? Sur ce sujet, il me faut l’avouer, je n’ai aucune objectivité, puisque, moi-même m’adonne à la pochtronerie plus souvent que raisonnable. Cela ne m’empêche pas de m’interroger: que vient faire l’alcool dans cette liste non exhaustive de “mensonges vitaux” de ce qu’il pourrait être convenu de nommer “première catégorie”? Me trompé-je en affirmant que la consommation d’alcool peut être considérée comme un mensonge secondaire? Peut-être la réponse à cette question ne peut-elle être envisagée avant que d’avoir abordé le sujet principal de ce texte: dieu (majuscule encore). Par à-priori, je me méfie des gens qui disent que dieu n‘est pas pour eux un problème, ou qu’il n’est pas un problème plus important que d’autres, et l’expérience m’a démontré que ce type d’allégation cache souvent une certaine sympathie de fond pour la religion, le divin, l’idée d’un être supérieur, voire d’un concept, d’une idée ou d’un principe supérieurs. Dieu, contrairement à l’art, l’amour et l’alcool, sous-entend une morale. Le cas de l’argent est plus complexe, puisqu’on peut envisager que l’amour strict de l’argent sous-entend lui aussi une morale. Par contre, on peut adorer dieu, sous toutes ses formes, et, dans le même temps s’adonner à l’amour de l’art, de l’amour, de l’alcool.. Sauf que, suivant que l’on croie ou non en une figure divine, ces amours sont plus ou moins colorées, licites, culpabilisantes. Si vous croyez en dieu ou pas, par exemple, Claudel vous emmerde (comme dirait Brassens, lui-même fervent croyant..) ou pas... Sauf que si vous croyez en dieu ou non, vous voyez en Michel Ange (encore lui, décidément!..) le peintre des anges ou bien celui du sexe des anges (le diable est dans les détails!..), sauf que, si vous croyez en dieu, vous pratiquez la charité et n’avez, donc, pas tout à fait le même abord à l’argent qu’un mécréant, sauf que si vous croyez en le dieu des musulmans, par exemple, l’alcool vous est interdit mais pas son amour... Parmi tous les exemples cités par l’auteur, donc, dieu me semble un concept à part. Il est, en tous cas, beaucoup plus clivant que les autres. Ne pas le voir, ne pas le souligner, de quoi est-ce l’indice? D’une indulgence? D’une sympathie? D’un aveuglement? D’un mensonge vital? La remarque finale sur la sympathie plus ou moins avérée, la tolérance plus ou moins grande d’un côté ou de l’autre est à ce titre, et à mon avis, très enseignante. Dirait-on, par exemple, qu’on connaît des alcoolos plus ou moins tolérants? Des artistes plus ou moins ouverts? Des amoureux plus ou moins fréquentables? Evidemment non. C’est bien, en soi, attribuer à l’idée de dieu, de religion, un pouvoir clivant exceptionnel. Souligner que les deux camps peuvent être renvoyés dos à dos, c’est, avant tout, entériner l’existence de deux camps. En ce sens, j’en suis certain, ce texte n’est que périphrase. Le problème est bien dieu, l’idée de dieu, qui ne se compare à rien. On peut être artiste et alcoolique ou non, croire ou non en dieu, aimer aimer ou non, être vénal ou non, rien à faire: ce qui va se voir en premier est la référence au divin. C’est ce qui va déterminer l’orientation de l’oeuvre.

Perplexe, disais-je, parce que la première impression ressentie à la lecture de ce court texte était bel et bien que j’avais affaire à un plaidoyer involontairement déiste. Mais, plus grave, à mon sens, mon malaise venait de l’impression (soleil levant), du ressenti, d’une inclination à l’extrême-droitisme. Impression soulevée par le positionnement de l’auteur qui se place lui-même en sachant, à part, au-dessus. Mythe heideggerien de la montagne, mauvaise compréhension de Nietzsche, la totale. Nietzsche n’est pas, ne peut pas être, l’idéologue de l’extrême droite qu’on voudrait nous imposer. Il n’est pas dangereux, définitivement, parce qu’il n’est que pensée. La réponse la plus malhonnête à cette affirmation est que croire Nietzsche exempt de critique est un mensonge vital en soi. Il est évident que seule la compréhension, l’interprétation, de Nietzsche, peuvent amener à des dérives non incluses dans l’oeuvre initiale. Le meilleur exemple est Heidegger. Nietzsche peut se comparer à un alcool trop fort, du genre mescal, hallucinogène, et à ne pas mettre entre toutes les mains. N’allez pas conclure que je me vanterais d’en être. Nietzsche continue de me poser beaucoup de problèmes. Mais, s’il est admissible qu’il a dénoncé sans ambages et sans espoir de retour, à moins qu’il ne soit lui-même éternel, toute croyance, en commençant par dieu, et en soulignant que, plus jamais, aucune autre croyance ne pourrait remplacer celle-ci, aucune, serait-elle, par exemple, politique, occurrence qui ne fait pas partie des quelques unes envisagées par notre auteur, rien, donc, ne pourrait jamais nous consoler de la perte de dieu, il n’a pas, quant à lui, établi de hiérarchie entre les possibles qui s’offrent à l’esprit humain pour combler ce vide, n’a énoncé aucune aristocratie dans les croyances, ne s’est pas placé, lui, d’un point de vue individuel, si ce n’est, finalement, pour conseiller la danse. Toutes les interprétations brutales de ce philosophe délicat sont dictatoriales, sans exception. Pourquoi, après toutes ces années, est-il encore possible de s’aveugler sur son côté néfaste pour ses interprètes? A part Rosset, qui a ressenti la nécessité de promouvoir la “joie” en manière de remède au poison nietzschéen, ou Deleuze, peut-être, l’histoire de la pensée post-nietzschéenne regorge de dérives impérialistes. La plus évidente preuve de ces allégations nous vient de l’adhésion ou non au mythe de la “montagne”, heideggerien, hitlérien, le mythe de la race supérieure, phénotypiquement ou intellectuellement, de tous ceux qui se jugent au-dessus de tout ça, en particulier de l’idée très empoisonnante de dieu et qui la renvoient, avec d’autres, d’un revers de main. Un revers de main qui se voudrait claque et qui n’est qu’aveu de faiblesse.