mardi 12 juillet 2016

Le but ou le voyage ?


Cette nuit, deux de mes neurones ( j’en ai plus de deux, donc …) sont entrées en contact, me révélant la solution à un problème intellectuel qui me tracasse depuis des décennies. Vous connaissez les intellos. Ils s’abandonnent plus que de raison à l’onanisme intellectuel, cette activité qui, paraît-il, ne produirait aucun résultat. T’as qu’à croire ! … A peu près tout ce qui nous entoure est le produit d’un instant de plaisir solitaire d’un intellectuel. Ouvre la fenêtre, camarade, et, dans le même temps, tes yeux. Ce qui s’est révélé, cette nuit, vous savez ce qu’on raconte sur le sommeil, est la réponse au délicat problème du voyage ou du chemin. Je vais expliquer, pour les durs de la feuille : depuis quelques décennies circule, dans l’opinion, cette idée que ce qui importe, dans la vie d’un humain, n’est pas le but qu’il cherche à atteindre mais le chemin qui le mène à ce but. Une pensée dite « positive » issue du bouddhisme. Ce qui, pour moi, a toujours eu l’apparence d’un paradoxe puisque, dans la réalité, tout chemin aboutit à un but. Dès lors que ce but est atteint, il m’a toujours paru difficile, voire indécidable, de distinguer entre l’importance du but et celle du chemin. Si le chemin avait atteint un autre but, le voyageur en serait-il vraiment satisfait ? Ce jugement ne peut advenir que depuis la position du but. En 1968, on résumait ça par un slogan : d’où parles-tu, camarade ? … Je vais prendre un exemple concret. Parlons, sous l’angle du but ou du voyage, de deux personnalités : Jean Zay ( 6 août 1904, 20 juin 1944) et de François Mitterrand (26 octobre 1916, 8 janvier 1996). Alors ? Le chemin ou le but ? En quatre mois, Zay a édifié l’éducation nationale de notre époque, le CNRS, le festival de Cannes et j’en passe beaucoup … En quatre vingts ans, Mitterrand a fait quoi ? Il a collaboré, il a été président et il a aboli la peine de mort. Au crédit, donc, la fin du meurtre officiel et c’est à peu près tout. Donc : but ou voyage ? Zay, lui, son voyage a été quasiment rectiligne : juif, de gauche ( en ce temps-là les juifs étaient de gauche …) et, très logiquement, mort au bout des fusils de l’extrême droite. Mitterrand, lui, c’est louvoiement, infidélité, renoncement, dissimulation … Vous préférez quoi ? Mitterrand, hein ?... Ne répondez pas. Dans un pays où, chaque année, le peuple dépense plusieurs millions d’Euros pour gratter des tickets avec lesquels on peut gagner des millions, la réponse est évidente. L’un est mort à quarante ans au nom de ses convictions, l’autre, qui n’en a jamais affiché aucune, a gagné le gros lot : il a été président. Ainsi donc, ainsi donc, il semble que le « but » ne soit pas si dérisoire que ce qu’en pense la majorité. Surprise, non ?... Bah non, eh ! … Qu’il est con … On le sait tous. On fait semblant. On saute de la falaise parce que le Lemming qui nous précède a sauté. Après, on compte sur les scientifique pour expliquer pourquoi c’était notre destin, inévitable, on compte sur dieu, qui nous rattrapera au dernier moment, le hasard, on appelle ça, et, surtout, on pense que c’était pas de notre faute. Parce que, au cas où tu ne le saurais pas, intellectuel de mes deux, on sera encore là après ! … On croit en dieu. C’est d’ailleurs là que se trouve le nœud du problème. La religion. Car, qu’elle soit d’origine bouddhiste, chrétienne, juive, musulmane, ce que vous voudrez, la philosophie positive n’est que la traduction dans la pensée de ce qu’on pourrait nommer fatalité, le fait qu’on ne peut pas grand chose à l’ordre des choses et que, donc, on ne peut que l’accepter. C’est exactement l’endroit où la religion devient politique et se révèle être un instrument au service du pouvoir. Avant tout mater toute révolte. Et Nietzsche, me direz-vous ? Nietzsche et son éternel retour ? Aucun rapport, dis-je. Car, dans le cas de la religion et de la philosophie positive, autre nom de la religion, il existe une différence essentielle. Dans l’un des cas, on accepte une fois que le chemin est parcouru, la religion, dans l’autre, on l’accepte d’emblée, Nietzsche. Dans le premier cas, on valorise le chemin, dans l’autre le but. Pour en revenir à mon exemple concret, je ne doute pas que Mitterrand ait été satisfait de son long chemin semé de roses, dans l’autre, Zay, je pense que le chemin n’est pas source de joie. Ce qui les réunit est simple : Zay a dû se dire que « ça valait le coup », grâce au but atteint, et Mitterrand … aussi. Au bout du compte, seul le but est donc important. Mais, néanmoins, je dois reconnaître un certain embarras. Je n’ai pas cette disposition d’esprit qui permet de trancher sur tous les sujets qui se présentent. Bien qu’ayant vu le fait que ce débat est très politique, que le fait qu’il fasse appel à la religion de manière indigne, je reconnais, le débat me laissait perplexe. Jusqu’à ce que mes deux neurones se touchent, donc, ce court-circuit me rappelant que l’un de mes aphorismes préférés, que nous devons à « un certain Blaise Pascal » (Prévert, Paroles), est : « Tout le malheur du monde vient d'une seule chose qui est de ne pas savoir demeurer en repos dans une chambre ». Bah voilà ! … Un intello, ai-je un jour écrit, ce n’est pas quelqu’un qui visite le monde, c’est quelqu’un qui le convoque chaque jour dans sa chambre. Pas de chemin. Le débat tombe. Quel chemin ? … Tous les gens qui m’affirment que, ce qui importe, c’est le chemin, ont un sac à dos, des chaussures de marche et parcourent le monde avec le guide du routard en poche. Quel chemin ? … Intellectuel, alors ? Wouarfff ! … Plié en deux de rire. Intellectuel ! … Je l’ai, l’argument. Cette fois, je l’ai. Le seul voyage qui compte est celui qu’on fait dans sa tête. Et, celui-là, il dépend intégralement du but. Car il n’est pas de voyage de l’esprit qu’on n’entreprenne sans but. Sans but ni sans formation. Aucun. Désolé, camardes, l’important, dans l’existence, et pour tous, c’est le but. Il n’y a pas de voyage qui n’ait un but. Ne serait-ce que le but de voyager sans but. D’ailleurs, avec rien qu’un peu de cynisme, on pourrait penser que tous ces gens qui nous bassinent avec la beauté du voyage pourraient bien être ceux qui, à leur grand désespoir, n’auraient pas atteint leur but. L’être humain est ainsi fait qu’il parvient toujours à justifier ses errances à postériori. En ce sens, affirmer que l’important serait le voyage, c’est reconnaître sa faillite personnelle.




mercredi 22 juin 2016

Albert et la mort ...


Vous savez certainement que Camus n’est pas mon écrivain préféré. Je ne parle pas du reste. Pour moi, ce n’est même pas l’ombre d’un philosophe. Ce que j’ai contre lui ? Sa tronche de gendre idéal. Bien propre, bien poli et, avant tout, anticommuniste viscéral. Pas comme l’autre, là, Sartre … J’ai aussi contre lui d’avoir rêvé être une idole, un peu genre Dean, James, qui n’a réussi que grâce à sa gueule d’ange. Lui, James, il est mort dans un accident avec la Porsche qu’il conduisait, au moins. L’autre, le prix Nobel, il est mort dans un accident, tout pareil, mais pas au volant, et dans une Facel Vega. Minable. A ceux qui auraient encore un petit sentiment pour Albert, je conseille la lecture de « Meursault, contre-enquête » de Kamel Daoud. Tout simplement parce qu’il y aura toujours une différence entre un intellectuel qui défend de sa tour des idées dont le réel démontre qu’elles sont tragiques et ceux qui participent activement à des ignominies. Bref, ce monsieur sentencieux nous a asséné nombre de poncifs dont le fameux : « le seul problème philosophique sérieux est le suicide ». A son époque, cela pouvait passer pour pertinent. Tout simplement parce que l’église, avec quoi il entretenait une relation ambigüe, le condamnait absolument et que notre société était, en ces temps, baignée de cul-bénisme. Ce n’était donc, à mon avis, qu’une position circonstancielle et à très courte vue. Donc, en ce sens, assez peu philosophique. Une manière de s’acheter à bon compte une aura de « révolutionnaire ». A preuve, le fait que, cinquante et quelques années plus tard, le problème n’est plus central. De nos jours, le problème, c’est la mort. Voilà de l’éternel. Mais, curieusement, l’universalité de ce problème n’est plus le centre du débat. Car, au lieu de la considérer comme inéluctable, nos sociétés ont versé dans sa négation. Et même vers la négation de tous ses aspects, à commencer par le vieillissement, qui en est la première étape. Les rues sont pleines de sexas, de quiquas et de quadras en short, sur des planches ou patins à roulettes, sur des trottinettes, qui tentent pathétiquement d’oublier leur âge, de faire comme si la fin n’arrivait pas, qu’elle était encore loin. Résultat, on est passé d’une mort plus ou moins apprivoisée à une terreur généralisée. Au point que, tout le monde chiant dans son froc dès qu’on prononce le mot, que, d’ailleurs, on le dit de moins en moins, il est parti, il s’en est allé, nous a quittés, etc … , et que, même, on finit par ne plus en parler. Camus, le même, aurait dit une autre phrase profonde : « Mal nommer les choses, c’est ajouter au malheur du monde ». Que serait-ce, alors, ne plus les nommer ? La mort est mon amie. Le suicide ni la mort ne sont pour moi des problèmes fondamentaux. Sauf, peut-être, leur disparition du discours général. Pas, en tous cas, leur existence qui n’est, pour moi, qu’un fait. Avec un avant et un après. Vide, l’après, bien entendu. Cette question est pour moi l’indice qui révèle imparablement la confusion entre transcendance et mysticisme, spiritualité et religion. C’est probablement une différence essentielle avec le reste du monde et Albert en particulier.

jeudi 18 février 2016

C'est non !...


C’est non !... Parfois, un être humain est amené à dire non, quoiqu’il lui en coûte et,là, pour moi, c’est non. Les plus incultes des lettrés vont croire que je fais ma crise Antigone. Je suis à des années lumière de cette adolescente entêtée. Très peu d’auteurs ont traité ce mythe avec subtilité en faisant, par exemple, une place à la raison d’état qui n’est pas qu’une manifestation concrète de la langue de bois. Être puissant suppose des devoirs, dont celui d’assumer ses choix, y compris quand l’histoire vous donne tort. Sartre aurait parlé de mains sales. Contrairement à mes contemporains, je ne me reconnais pas dans cette oiselle butée et, avant tout, indifférente aux avis qui divergent du sien. Ce qui n’est pas en soi condamnable si l’on ne tient pas compte du sujet de son entêtement. Vous auriez beau jeu de me reprocher d’être, moi aussi, totalement insensible à la doxa. Sauf que, pour moi, le problème qui se pose a à voir avec la majorité. La majorité qui, justement, de nos jours, adule la jeune Antigone. Or, la question est, fondamentalement, au nom de quoi ?.... Au nom de quoi Antigone se mobilise-t-elle ? Et la réponse est évidente. Au nom de la tradition. De cette tradition qui veut qu’un humain ne le serait que dans le respect de la dépouille de son prochain. Tradition qui, vous l’aurez remarqué, ne s’applique qu’aux proches, regardez, par exemple du côté du traitement que nous, blancs, réservons aux cadavres noirs ou basanés. Antigone met en jeu sa vie pour le cadavre de son … frère. Au nom de quoi ? De la transcendance. Antigone est, à ce titre, la défenderesse de l’unicité de la transcendance, qui serait, donc, la tradition et, par là, preuve de l’existence d’un être suprême. Et c’est donc là qu’on aperçoit, sous le voile de la résistance héroïque de l’adolescente face au pouvoir, la défense de l’existence du dieu. Et c’est là, donc, qu’on comprend le succès que notre époque lui réserve. Car nos temps sont croyants. C’est là, vous aurez compris, que je dis non.....

Je suis d’une génération nietzschéenne. N’en déplaise aux intellectuels de tous poils du temps présents, toutes les grandes références du siècle précédent le furent. Sartre, Camus, Deleuze, Palante, j’en passe, y compris Freud et Marx qui n’ont jamais avoué l’avoir lu et digéré ce qui, pourtant, est et fut tu car inavouable selon leur conception du monde. Nietzsche reste comme l’intellectuel qui a affirmé la mort de dieu. Dieu est mort, affirmation nietzschéenne fondatrice semble être tout ce qu’on en a retenu. Pourtant, cette affirmation est incomplète. Car Nietzsche donne l’explication de cette mort et affirme que, si dieu est mort, c’est parce que l’Homme, l’être humain dans son ensemble, l’a tué. Nietzsche ne nie pas la pertinence intellectuelle de l’existence d’un être suprême. Il nous dit simplement que, malgré nos dévotions de Tartuffe, nous sommes incapables d’affronter cette idée. Nietzsche est mort en 1900, il y a 116 ans, temps nécessaire à la reconquête pour la masse informe du peuple toujours prompt à glisser vers le plus confortable pour son esprit. Je suis né à une époque où la quetion posée par Nietzsche n’effrayait personne et, donc , pas plus moi qu’un autre. Pas de dieu au ciel, soit... Et, donc ?.. Que serait-ce, alors, que la transcendance humaine ? Il fallait se « prendre le chou », se torturer l’esprit, apprendre et apprendre encore mais nous le faisions dans la gaieté, comme nous l’avait suggéré le moustachu, dans la gaieté du savoir. C’est une époque où la question de dieu était évacuée. Je n’ai pas écrit « résolue ». Nous avions simplement le courage intellectuel de la laisser ouverte et d’en renvoyer la résolution à plus tard. Aucune angoisse ne naissait de ce diffèrement. Vous l’aurez remarqué, ce n’est plus le cas. La réponse, le peuple de France et, hélas, de la Terre entière, l’exige dans l’instant. Ce qui, évidemment aboutit à la défense de son dieu contre celui de l’autre, au clivage, à la guerre. Malraux, intellectuel croyant avait prédit, dit-on, que ce siècle serait spirituel ou ne serait pas. Cette phrase a aujourd’hui le même succès, exactement, que la jeune Antigone, fille d’Oedipe, pour la simple raison qu’elle conforte les culs-bénis de toutes les obédiences possibles. Comme la plupart des prophéties, celles-ci s’avèrera fausse, bien entendu, puisque le 21° siècle sera à la fois spirituel, c’est à dire tourné vers la seule spiritualité envisagée par les commun des mortels, celle d’un « dieu » au cœur du ciel, sera, donc, déique ET ne sera pas. Parce que nous n’avons évidemment pas tous le même dieu et que notre entêtement collectif à confondre transcendance et dieu ne nous amènera que la guerre.

C’est là que je dis non. Non, désolé, les télés pleines de dieu, de messes, de cérémonies, d’Allah, de Bouddha, de Javé, de dieu, de papes, de rabbins, d’imams, de bonzes, seraient-il français et anisés, c’est non. La figure de dieu comme seule grille d’analyse, c’est non. C’est non parce qu’il existe sur cette terre une foule innombrable de gens qui, non seulement n’ont pas besoin de cette hypothèse, comme disait Laplace, mais, en plus, condamnent avec force cette faillite de l’esprit que constitue la croyance en un dieu, en une idéologie, en un dogme, même laïc, condamnent les présidents cathos, les premiers ministres cathos, les penseurs cathos, les journalistes cathos, tous les cathos, tous les croyants, parce qu’ils sont l’expression d’une faillite de l’esprit humain et, donc, vouables aux gémonies. ... Contre mon époque, je continue de l’affirmer : dieu est une merde, dieu n’existe pas, dieu est mort et croire n’est pas plus respectable en soi que toute autre croyance. Dans mon pays, la France, croire est un droit mais n’en ouvre aucun, de la même manière qu’il y est permis de chasser sans que cela soit ni une obligation ni un bien. S’il existe une chose sacrée sur cette terre, cela ne peut pas être dieu. Ce pourrait être, éventuellement, s’il faut une transcendance, la vie. C’est non. C’est non et l’image de ce « non », c’est un majeur levé. Allez vous faire foutre !... C’est non. Dieu n’existe pas et je me fous totalement des explications qu’on tente de m’en fournir. Ce monde n’a pas besoin d’un dieu. Le seul responsable de la dérive de l’humanité, qui risque plus que jamais d’aboutir à son anéantissement, c’est l’être humain. Le déluge, s’il a lieu, sera notre œuvre. C’est non et je conchie toutes les religions. C’est non !...