mardi 22 juin 2010

Histoire.... grand H?....

Parfois, il semble absolument évident que la “culture” scientifique est porteuse d’une immense richesse pour ce qui concerne le domaine philosophique. D’ailleurs, point n’est besoin de s’appesantir. Tous les philosophes antiques étaient également des savants, Pascal, Einstein, Heisenberg, Albert Jacquart ou Hubert Reeves aujourd’hui sont des exemples assez démonstratifs. Il est un débat actuel dont il me semble qu’il gagnerait à s’inspirer des théories scientifiques, c’est celui qui concerne l’Histoire. L’histoire avec un grand H existe-t-elle? Est-elle autre chose que la juxtaposition pas toujours logique ou pleine de sens de destins individuels?.... Le seconde guerre mondiale, la révolution française, peuvent-elles être décrites plutôt d’un point de vue global ou bien n’en avons-nous une idée précise et juste qu’en portant un regard focalisé sur le rôle de chacun des acteurs?

Dans ce cas, il me semble que la mécanique des fluides est de quelque utilité. En particulier l’écoulement d’un fluide dans un tuyau. Ce que vous pouvez constater, d’un point de vue macroscopique c’est que l’eau coule de votre robinet avec un débit constant de quelques litres par minute. C’est ce qui vous est utile lorsque vous remplissez un récipient ou une baignoire ou bien que vous arrosez votre pelouse. SI vous observez le phénomène d’un point de vue microscopique, par contre, vous tombez sur une complexité sans nom. Si l’observation globale pouvait inciter à penser que toutes les molécules se déplaceraient à la vitesse du flux et toutes dans le même sens, en réalité, aucune molécule n’a le même mouvement que sa voisine. Certaines dans le sens du flux, mais plus rapidement ou plus lentement, certaines à contre-courant, certaine perpendiculairement au sens du courant, d’autres immobiles, bref, un fatras indescriptible. A tel point, par exemple, que si vous versez de l’eau pure et incolore dans un récipient ne contenant de l’eau colorée en bleu, vous aurez la surprise de voir que le réservoir du haut se colore peu à peu en bleu, ce qui signifie que certaines molécules ont remonté le filet d’eau qui s’écoule. Et, ce, en nombre suffisamment significatif pour provoquer une coloration de l’eau située en haut. Bref, décrire le mouvement macroscopique, un écoulement régulier, en prenant pour base d’observation l’échelle de la molécule devient impossible. Car très peu parmi elles suivent le mouvement global constaté. Pourtant, ce mouvement global, est la réalité: de l’eau s’écoule d’un point à un autre. Pour recréer la réalité constatée à partir de chacune des molécules, il faut connaître avec précision le mouvement de chacune d’elles et déduire de la somme de tous ces mouvements le résultat total. C’est un calcul quasiment impossible. On ne peut le mener à bien qu’en faisant appel aux probabilités. C’est une des questions théoriques les plus complexes de la physique. Un cauchemar pour le physicien. Pourtant, la réalité est impérative: le liquide circule d’un point à un autre. Mais elle est double. D’un point de vue général, cela s’écoule, d’un point de vue particulier, rien ne l’indique. Pour décrire la réalité, donc, nous avons besoin des deux échelles. La réalité est constituée à la fois du global et du particulier.

De la même manière, me semble-t-il, le terme “histoire” recouvre deux réalités. L’une générale, l’autre individuelle. Pour prendre un exemple, disons que, d’un point de vue global, l’Allemagne hitlérienne a mené une guerre au reste de l’Europe entre 39 et 45, que, pendant cette guerre, elle s’est livrée à la déportation et l’élimination d’environ 6 millions de juifs. Cela ne dit rien sur l’histoire particulière de chacun des juifs qui ont subi ce sort. Si nous observons l’histoire au niveau individuel, nous trouvons toutes sortes de comportements. La fuite, le suicide, la collaboration (il y eut des juifs collaborateurs...), l’évasion, la survie au camp, la mort silencieuse, l’accueil dans des familles de “justes”, et, bien entendu, la déportation, bref, des millions de cas différents dont très peu décrivent la réalité globale: l’extermination de six millions d’individus. De plus, l’existence de la “solution finale”, que l’on peut comparer à un “flux global”, impose à chacun des individus concernés une attitude qui sera leur réponse personnelle à ce flux. Ils vont devoir soit marcher dans le sens du flux, soit le remonter, soir s’en échapper par un biais mais, en tous cas, ils devront se déterminer par rapport à lui. Il y a très peu de chances de pouvoir décrire ce que fut la solution finale à partir de tous les cas particuliers. Cela supposerait, d’ailleurs, qu’on les connaisse tous. La réalité globale ne pourra être parfaitement décrite à partir des cas particuliers. Pourtant, ces cas particuliers existent. Comme existe la réalité globale. Ainsi, il me semble que le débat actuel sur Histoire et histoire n’en est pas un. Pour comprendre la réalité d’un fait historique, nous avons besoin des deux points de vue.

Il est assez évident que notre époque, qui privilégie l’individu en tant qu’unique ne peut facilement admettre que nous serions parfois les jouets d’un courant dont la puissance nous dépasse. Aujourd’hui, il semble très important que chacun d’entre nous puisse penser qu’il tient son destin entre ses mains et qu’il en est le seul maître. Cette idée, qui tend à nier l’existence d’une histoire avec un grand H est évidemment très rentable d’un point de vue économique. Faut-il voir là la raison de cet air du temps qui voudrait qu’on en revienne toujours et sans cesse aux cas particuliers?.....

vendredi 18 juin 2010

Invitation à penser autrement

Le génie pourrait se définir par l’incapacité à justifier ses raisonnements. L’action sous l’impulsion de l’instinct. Ce qui suppose donc une appréhension globale des tenants et aboutissants, une perception intégrale du contexte, basées uniquement sur une sensation, un ressenti, qui ne laisse aucune place à la logique. Le génie est celui qui pressent sans pouvoir expliquer ce qu’il a ressenti. Qui ne peut donc édicter ni théorie, ni théorème, ni principe, ni dogme. Ainsi sont les choses. Pour donner tort ou raison au génie, il n’y a qu’un moyen: attendre que le temps, l’histoire, lui donne ou non raison. Ce qui exclut d’emblée du génie tous les penseurs, aussi puissants soient-ils, qui peuvent étayer leur raisonnement. Pour prendre des cas concrets, parlons de Nietzsche, en philosophie, qui ne se comprend pas au sens de l’entendement, mais se reçoit ou non, par opposition à Kant ou Sartre, qui s’expliquent. Parlons de Einstein, qui a une intuition de l’ordre du monde physique, par opposition à Newton qui l’explique. De tel ou tel peintre, qui “conceptualise” par rapport à Van Gogh, qui produit. De tel ou tel littérateur qui s’inscrit dans un courant, une filiation, en opposition à Artaud, par exemple, qui vomit ses mots. De Mozart, qui éructe sa musique par opposition à Beethoven, Bach ou Wagner qui la construisent. Le génie est perturbateur parce qu’il ‘entre pas dans le champs de la raison dialectique, qu’il ne peut se concevoir que comme étant ou non sans autre débat. Ce qu’il produit est ou n’est pas. Mais le pire, la partie la plus opposée au génie, c’est évidemment celle qui cherche la raison de toute chose. Qui dissèque et disserte ce qui ne peut s’expliquer autrement que par la célèbre formule: cela est!.... Le génie humain n’a pas de pire ennemi que qui veut à tout prix comprendre et analyser. Nos cimetières sont pleins de ces génies anonymes qui ont croulé sous l’injonction de s’expliquer quand le fait même de leur génie est de ne pas le pouvoir. Pas de pire ennemi que les fonctionnaires de la pensée qui, manches de lustrines au poignet, dissèquent et analysent pour comprendre et trouver une cohérence.

Sans vouloir insister outre mesure, je signalerai à ceux que cela intéresse que la définition du génie ainsi acceptée en appelle à la notion de surdon, qui peut exactement se définir ainsi: incompréhensible et injustifiable. Tous ceux qui s’intéressent à cette question, hélas assez rares, il n’est qu’à constater le peu d’intérêt que suscite cette manière d’être dans l’intelligentsia, le nombre très réduit de publications, tous ceux, donc, qui ont un jour été confrontés à la très spéciale notion de surdon, savent qu’il y a une espèce de superposition possible entre le calque du génie et celui du surdon.