mercredi 2 décembre 2009

Absurde?...

“L'univers infini est incompréhensible mais l'univers limité est absurde”. Cette phrase d’Auguste Blanqui, glanée au hasard des rebonds sur le net, m’est apparue d’un intérêt tout à fait exceptionnel. Il faudrait, bien entendu, la replacer dans son contexte et commencer par évoquer la conception très particulière de l’univers qu’avait Blanqui. Je compte sur votre curiosité. Mais, personnellement, je l’ai reçue comme une pierre à un débat qui m’est cher: celui qui concerne l’absurde et, en particulier, Camus. Si j’en crois Blanqui, donc, l’absurde serait une notion qui ne nous apparaît comme évidente que si l’on se cantonne à la conception d’un univers limité. Rien sur cette limite. Que serait-ce qu’un univers limité? La Terre, par exemple? Un pays? Un système solaire? Ce qui est paradoxal, d’emblée, c’est que les théories les plus récentes amènent à la conclusion, justement, que notre univers, dans son ensemble, serait limité mais non borné. C’est à dire qu’il aurait une taille finie mais que jamais nous ne serons confronté à sa limite, cette frontière au-delà de laquelle ce ne serait plus l’univers mais autre chose. Exactement la même chose que la Terre, qui est limitée, une boule de 6000 km de rayon, mais, pour autant, rien ne nous empêche jamais de progresser encore d’un pas à sa surface. Limité mais non borné. Au regard de l’état actuel du savoir, donc, la phrase de Blanqui pourrait apparaître comme rédhibitoire: puisque tout univers est limité, donc, tout univers est absurde. Cette conclusion est hâtive et ne tient évidemment pas compte de l’état des connaissances de Blanqui, bien que, dans son livre, L'Éternité par les astres (1872), il énonce une conception que d’aucuns rapprochent des théories relativistes d’Einstein. Néanmoins, vous m’accorderez que, dans son esprit, certainement, la notion qu’il avait de “l’infini” n’était vraisemblablement pas le nôtre. D’ailleurs, je pense que sa phrase se suffit à elle-même. L’incompréhension qu’il annonce tient évidemment au fait d’un infini non limité et traduit une conception de l’univers comme illimité.

Ce que je vois, dans cette phrase, que je me permets d’inverser, ce qui n’est pas forcément légitime, c’est bien que l’absurde ne naît que d’une conception limitée de l’univers. Que serait-ce, alors, qu’un univers limité? Et, en particulier, puisque c’est le point qui m’intéresse, pour Camus? La Terre, évidemment. La Terre conceptualisée comme un univers clos, abandonné du ciel, abandonnée parce que ce ciel, lui-même, est découvert, admis, compris, comme vide. Point de dieu au-dessus de notre tête. Dès lors, puisque le sens, la cohésion, n’est pas celle d’un dieu, le sens tombe de lui-même. La Terre est une boule isolée, abandonnée à elle-même dans un univers perçu comme incompréhensible et, donc, imparablement, naît l’idée de l’absurde. L’absurde n’est pas un concept inventé. Il est une conséquence inéluctable d’une recherche, d’une quête de sens, déçue, d’une désillusion, d’un désappointement. La raison de la conclusion à l’absurde, chez Camus, ce n’est pas une théorie. C’est un aboutissement tout à fait logique à la perte de la foi. Une rancoeur, un ressentiment, envers le père absent. Camus est indécrottablement mystique. Jamais il ne se défera de sa croyance, même déçue. Ce qui lui manque, ce qui manque à beaucoup de penseurs, c’est une formation scientifique. Je n’affirme pas ici (quoique!..), qu’il n’y ait que les scientifiques qui puissent raisonner l’univers. J’ai personnellement, par exemple, eu l’occasion de rencontrer un père jésuite dont la formation scientifique était des plus solides. Les jésuites, c’est connu, ne croient pas en dieu. L’absurde, et je suis heureux d’avoir rencontré Blanqui sur ce sujet, ne naît que de l’incapacité de celui qui pense à concevoir la notion d’absence de limite à l’univers et d’attribuer à cette incompréhension une valeur universelle. Ce que Blanqui, pas plus que Camus, d’ailleurs, ne savent concevoir, c’est l’idée que la quête de sens n’est ni universelle ni nécessaire. Et que c’est cette recherche qui, en elle-même, contient sa solution: la conclusion à l’absurde. Mais l’univers n’a pas de sens, pas plus que la vie sur Terre. Pourtant, ils sont, l’un et l’autre. Bien que n’aimant pas beaucoup manier la notion de mur, je crains que, pour le coup, on en voit un se dessiner très nettement. C’est celui qui s’est construit dans l’esprit de beaucoup de ceux qui nous ont précédés, qui ne peuvent envisager une quelconque absence de sens sans en tirer des conclusions universelles. Pourquoi les choses devraient-elles avoir un sens? Sommes-nous si petits que nous ne puissions envisager baigner dans un magma indéfini qui n’aurait aucun sens sans pour autant en conclure que nous serions minables?

Dans tous les cas, et Blanqui a raison, c’est bien parce que notre univers est perçu par beaucoup et, en particulier, par Camus, comme limité, qu’il est absurde.