mardi 29 septembre 2009

Gardons-nous à droite, gardons-nous à gauche...

Bon, je reconnais, j’ai une formation scientifique et non littéraire ou philosophique. A ma décharge, je voudrais signaler quelques noms d’ancêtres glorieux: Pascal, mathématicien, Thallès, Einstein, Heisenberg, tous les pré-socratiques et, d’une manière générale, tous les tenants d’un savoir qu’on a aujourd’hui tendance à catégoriser, ce qui n’a pas toujours été le cas. L’une des images à portée philosophique que je retiens de ma formation est celle des îlots. L’esprit commun retient du savoir qu’il est un archipel d’îlots séparés par une mer infranchissable. Dans cette vision, le savoir serait la cause qui permet de faire baisser le niveau de cet océan, ce qui aurait pour conséquence de nous autoriser à découvrir, au final, que l’archipel est un continent, que chaque île est reliée à sa voisine, à toutes les autres, pour peu qu’on ait réussi à faire baisser le niveau de manière satisfaisante. Pas de réelle différence, en vérité, entre le savoir sous sa forme que nous appelons mathématique, physique, chimique, littéraire, historique, sociale, humaine ou bien philosophique. Sous cet angle de vue, la philosophie devient pourtant, inévitablement, la science qui réunit toutes les autres. Le philosophe est l’omniscient absolu. Et la philosophie, la reine des clés du savoir. Il n’y a aucun concept qu’un philosophe ne soit capable d’appréhender, serait-il estampillé scientifique.

Qu’est-ce que la philosophie? Au sens commun: amour de la sagesse (philo: aimer, sophie: sagesse). Contresens aujourd’hui généralement admis. Nous le devons à Socrate, qui philosophait en mourant, d’où l’interprétation la plus répandue: philosopher, c’est apprendre à mourir. Un philosophe est le contraire d’un sage. Sans épiloguer, disons que la sagesse suppose une certaine résignation que le philosophe refuse. Démonstration à l’emporte-pièce: si les philosophes étaient des “sages”, ça se saurait. Donc, second essai, proposons: amour du savoir. Là, vlan, on tombe sur ma formation scientifique. Peut-on tout savoir? Le philosophe, s’il court après le savoir, a-t-il l’ombre d’une chance d’y parvenir? Que nenni, m’enseigne mon parcours. A l’état brut, ça donne: quelle que soit la forme choisie pour la mesure du savoir, par exemple, excellent critère, l’épaisseur de l’encyclopédie universelle, la courbe de l’ignorance, elle, est, de toutes les façons possibles d’envisager le problème, une courbe exponentielle. Rien, en mathématique, ne peut croître plus vite qu’une exponentielle. CQFD.. L’ignorance dominera toujours le savoir. Ce que, de manière populaire, nous pourrions traduire par: je sais que je ne sais pas. Facile à comprendre: plus j’ai de solutions aux problèmes que je me pose, plus ces réponses ouvrent la porte sur d’autres questions, questions que je ne pouvais pas entendre dans l’état de conscience qui précédait. Conséquence, si philosopher est synonyme de savoir, la quête est dès l’origine réfutée: nous ne pouvons pas savoir. Voir Heisenberg. Le philosophe en devient immédiatement ce que les gens en pensent: un pignoleur. Troisième essai: l’amour des questions, du questionnement. Là, on s’approcherait, à mon sens. Même si question ne se dit pas “sophie” en grec. L’amour de ce qui persiste au-delà des réponses. L’amour du vertige. La passion du questionnement. Une tendance actuelle est plutôt de considérer la philo comme l’art des réponses. Le philosophe se fout des réponses. Ce qui l’intéresse, c’est la question suivante. A cet égard, dieu, par exemple, pourrait ne pas être un sujet pour le philosophe, du moins sous son aspect réponse, qui est, reconnaissons, le plus répandu, puisque seule la question est sujet. Et revoilà dieu....

J’avais pourtant pris la résolution de ne plus en discourir, au prétexte que discourir est accréditer, rien à faire, le revoilà.. Ce qu’on jette par la fenêtre revient par la porte ou par la canalisation des toilettes. Dieu, en ce moment, c’est un sujet. Un abominable sujet. De partout, il nous revient, insidieusement, inexorablement. La philosophie analytique, par exemple, qui nous remet l’hypothèse sur le grill. je cite: “ à l’opposé de Laplace, considérer l’hypothèse dieu”... L’argument est de considérer la chose, peser le pour, le contre, voir les apports, les défauts, et de choisir en toute logique entre oui ou non. Mon oeil!... Il ne s’agit de rien d’autre que de réintroduire dieu en philo... En sciences, pareil. La nouvelle tendance est de considérer comme obsolète l’idée selon laquelle le savoir fait reculer les mythologies. C’est bien connu, depuis qu’on sait ce qu’est un volcan, Vulcain a un peu séché. Et bien ces idées sont “obsolètes”.. Paradigme périmé.... Il est possible, selon les tenants de la nouvelle (nouvelle, tu parles!..) théorie, de concilier démarche scientifique avec conviction religieuse.... Et, bien entendu, dans un cas comme dans l’autre, c’est celui qui refuse l’idée même d’un dieu qui passe pour un psychorigide, un suranné, un désuet, un archaïque. Ben tiens!.... Ce qui se passe ici est tout bonnement un drame pour l’esprit humain, un recul de plusieurs siècles, un renoncement à la lumière. Dieu revient!.. Au secours!.. Avec lui, les boniments sur le dessein intelligent, les intégristes, les préceptes moraux liberticides. Je ne dis pas que nos “philosophes” analytiques, nos “scientifiques” croyants sont eux-mêmes des intégristes. Je prétends qu’en ramenant dieu dans la sauce des idées et de la science, on ouvre la porte à toutes les convictions organiques en leur donnant du crédit. Une statistique récente montrait qu’un nombre très important d’étudiants en biologie, la science de la vie, hein, qui, à priori, devrait enseigner à quel point les mécanismes vitaux sont similaires d’un bout à l’autre du règne animal, une part proche de la moitié, donc, des étudiants, ne croyaient pas à la théorie de l’évolution et ne s’accordaient aucune parenté avec les primates. Ici, en France. Je vous raconte pas aux Etats-Unis.... Dieu est, devrait être, strictement, une affaire personnelle.... Rien de cette conviction ne devrait déborder dans le domaine public. Enseigner en intégrant la notion de dieu, c’est enseigner dieu.... Penser en intégrant l’hypothèse de dieu, c’est croire en dieu... Que chacun d’entre nous soit, un jour ou l’autre, amené à faire intimement le bilan de sa conviction, certes. Que cette conviction soit ramenée dans le champs du débat, acceptée comme hypothèse de travail, soumise au respect par autrui et, bientôt, indiscutable pour cause de ce même respect établi et estampillé, là, je crains qu’on y perde vraiment une part de la pensée antérieure, en particulier la part très importante de tous ceux qui, avant nous, ont, sur leur intime conviction, remis l’existence d’un dieu en cause. Je ne peux pas croire que ce retour du divin ne soit pas dû à des gens qui, eux-mêmes, ont des convictions religieuses, et qu’il ne s’agit pas ici d’une tentative de réinstaller le divin dans nos sociétés, souvent décrites comme en perdition, aveugles, éperdues, au prétexte qu’elles n’auraient pas su remplacer les bonnes vieilles valeurs par de nouvelles qui soient aussi structurantes. Je vous l’annonce.. Dieu est de retour.... Dans peu de temps, je suis certain qu’on le retrouvera au sommet de l’Etat.

lundi 21 septembre 2009

Provocation et surhomme

La provocation à l’excellence est une attitude assez uniformément présente dans les rapports humains. C’est un concept, je le crains, assez universel. Il s’applique aussi bien à ceux qui font profession d’excellence qu’à ceux qui y renoncent. En d’autres termes, aussi bien à ceux qui s’aventurent à penser de manière novatrice et qui , confrontés aux coups de boutoir de leur entourage, au sens large, se sentent constamment incités à se surpasser, à s’exposer encore, parfois de manière très primaire, souvent sous forme de coups bas, qu’à ceux qui y renoncent, la majorité, hélas, qui, ayant entrevu un instant la hauteur de l’enjeu, sombrent presque systématiquement dans la violence, imputable à la douleur inhérente au renoncement, s’abandonnent à la facilité du “détruire” plutôt qu’à la tâche du “démontrer”. Ainsi en va-t-il, me semble-t-il, de tous les sales gosses qui insécurisent joyeusement nos cités et qui s’en prennent, assez généralement, aux institutions qui, à leurs yeux, deviennent le symbole de leur contradiction. Je prétends qu’il y a une part de reddition dans la délinquance. La provocation à l’excellence est devenue si banale qu’on ne s’aperçoit presque jamais que c’est elle qui provoque, chez certains d’entre nous, le passage à la destruction. La pression est énorme. On ne devrait pas en vouloir à tous ceux qui ploient sous ce joug. Mais, si elle est, à mon sens, pour une part, responsable de beaucoup des maux de notre jeunesse, je pense également qu’elle est responsable d’une part de l’absence patente de ceux qui relèvent le gant, les intellectuels, dans le paysage culturel actuel. La capacité d’analyser le phénomène n’est pas, pour ceux-là, qu’un avantage. Elle provoque généralement chez eux ce qu’il est convenu de nommer “tentation de la montagne”. Un isolement volontaire, une considération définitivement infinitésimale pour la “plèbe”. Les exemples ne manquent pas de haine pour les intellectuels puissants qui auraient révélé la nature profonde de l’esprit humain. Bien délicat est le chemin qui consiste à refuser, d’une part, l’isolement volontaire et plein de dédain de celui qui est conscient dans le même temps qu’on refuserait, avec la même volonté, les pulsons destructrices. De cette constatation découlent une foule de clés de compréhension de nos sociétés modernes. L’abhorration des intellectuels autant que la condamnation consensuelle de tous les déviants violents, qui ne manifestent, en fait, que leur impossibilité de régenter l’énorme pression que, tous, nous faisons peser sur leurs épaules. Dans ce contexte, la réaction des intellectuels n’est pas la pire. C’est pourtant celle que, tous, unanimement, les tenants du bon sens s’acharnent à éradiquer. Comme si l’exhortation à l’excellence soulignait de manière évidente l’incapacité du plus grand nombre à affronter son indigence intellectuelle. Vous avez dit “surhomme”?

mardi 15 septembre 2009

Dieu n'est pas mort : il n'est pas...

Rien n’y fait. J’ai beau me sermonner, me contraindre à l’étude, tenter de me rendre aux arguments adverses, de les entendre, ad minima, je suis navré, rien n’y fait, je ne peux décidément pas m’intéresser aux philosophes qui font référence au concept divin. Je n’ai pas même parlé de ceux qui croient. Je dis bien référence. Je suis désolé, non, vraiment, dieu n’existe pas. Dieu n’a jamais existé. Le concept de mort de dieu est déjà, pour moi, limite. Affirmer cela, c’est exclure de l’étude à peu près tous les philosophes aujourd’hui appréciés, c’est créer une énorme parenthèse dans l’histoire de la pensée qui commencerait à Platon et se terminerait aux alentours de Nietzsche, Freud et Husserl. Comparaison n’est pas raison, c’est entendu. Je vais néanmoins vous livrer une explication comparative. Avant Copernic et Galilée, la Terre était considérée comme l’astre principal de l’univers autour duquel tout s’organisait. Cette conception est tombée d’un coup. Il y a un avant et un après. La conception terro-centriste de l’univers fait aujourd’hui sourire et, si nous considérons la pensée qui a précédé, ce n’est qu’à titre anecdotique, comme une curiosité. La pensée actuelle sur la situation spatiale de la Terre dans l’univers ne prend à aucun moment en compte l’idée qui l’a précédée. L’antique pensée est risible, ridicule, totalement obsolète. Si dieu n’a jamais existé, je le crains, nous ne sommes pas encore entrés dans l’aire où cette pensée est ridicule. Nous sommes, objectivement, dans un entre-deux, cette période où certains des contradicteurs, dans le sillage de Galilée, sont capables de se renier devant les Hommes pour préserver leur intégrité. Pourtant, l’aventure intellectuelle consistant à considérer que l’esprit humain s’est égaré pendant de nombreux siècles est possible. Elle suppose de jeter aux orties un ensemble de penseurs assez impressionnants, peut-être trop impressionnants, Kant, Rousseau, Spinoza, Platon, Hume, Pascal, la liste en est infinie.... Tous ces personnages ont raisonné le concept de dieu. Pas forcément pour l’accréditer. Du moins lui ont-ils tous donné corps. Jetons-les, juste un instant, et envisageons le paysage philosophique une fois leur disparition acceptée. Je suis certain que, pour beaucoup, nous sommes dans un désert. Rien!.. Il ne resterait rien!.... C’est une vision absolument fausse. Qui serait capable de m’affirmer que le marquis de Sade était croyant? Ou bien Robespierre? Restif de la Bretonne? Villon? Casanova? Quelqu’un peut-il m’affirmer que Michel Ange était croyant? Vous avez regardé ses peintures? Le problème, c’est que l’église a longtemps été le seul mécène. Qu’auriez-vous fait? Crever de faim ou peindre des anges sexués? La plupart d’entre nous aurait, j’en suis convaincu, peint des anges sans sexe. Jetez un oeil aux peintures de Michel Ange. Ce type ne croit pas. Transposé à notre époque, la question serait: croyez-vous vraiment que l’intégralité de l’art contemporain peut se résumer à ce qu’en expose Mr Pinault dans son nouveau musée de Venise?


Le problème que nous pose la religion, c’est qu’elle est devenue si incontournable, naturelle, que vous ne pourrez jamais accéder aux canaux de la renommée si vous la niez. Renommée, ceci m’amène, personnellement, à Brassens, qui l’a si bien dénoncée. Brassens, fervent croyant et, par là, pour moi, forcément insignifiant. Le piège, avec les croyants, c’est que le débat n’est pas favorable à l’hypothèse de la non-existence. En débattant, vous accréditez. Dieu n’a jamais existé, tout le monde, maintenant, en est à peu près d’accord. Son refuge est le fait que, puisque nous acceptons d’en discourir, c’est bien la preuve qu’il existe, au moins dans l’esprit des Hommes. Dieu est donc obligatoirement un sujet pour qui veut entretenir commerce avec les Hommes. Fondamentalement, donc, la négation de dieu comporte une certaine exclusion de la société des Hommes. Du fond de ma cave, j’en accepte l’augure: ne parlons plus de dieu. Ni de plus aucune de ses déclinaisons, serait-elle estampillée du sceau philosophique. Avec l’eau du bain divin, jetons le bébé flétri de la pensée divine. Cette attitude, choisie, dont je suis le seul responsable, me condamne à l’isolement. Parfait!... Si je ne dois être qu’un caillou blanc sur le chemin de la lumière, je serai ce caillou. Je l’accepte. Je crois que c’est plutôt la majorité du genre humain qui ne l’acceptera jamais, au nom de valeurs sur quoi il refuse définitivement de s’interroger et qui, dans quelques siècles, seront immanquablement aussi ridicules que l’idée selon laquelle la Terre pourrait être plate.... Il nous appartient, parce que nous sommes vivants dans cet entre-deux plus haut décrit, de prendre conscience du ridicule de l’idée même de dieu et de marquer aussi catégoriquement que nous le faisons pour les sciences avec Galilée, par exemple, ou bien Newton, le moment où l’idée de dieu a commencé de sombrer dans l’obsolescence. Il nous appartient aussi d’inventer une philosophie faisant l’économie du détour par le concept de dieu. Pour cela, nous disposons d’outils au moins aussi efficaces que pour l’autre, des philosophes pré-platoniciens, en passant par Nietzsche, Palante, de Gaultier, en nous appuyant sur une pléiade d’auteurs athées voire anticléricaux, jusqu’à Onfray. En oubliant dieu et la religion, en les faisant passer de l‘actualité à l’histoire de la pensée, en les évacuant définitivement. La tâche ne semble pas si ardue.