vendredi 20 novembre 2015

Autrefois, le monde était dirigé par des malades. Aujourd’hui, il l’est par des crétins.


J’ai toujours été persuadé que les gens qui ont réponse à tout et rétorquent à la vitesse de l’éclair à toute proposition, ce qu’on croit l’indice d’une finesse d’esprit, ne sont, en vérité, que des crétins. Pour la simple et bonne raison que répondre dans l’instant à une problématique ne peut avoir qu’une explication : on n’a tout simplement pas compris la question. Ou, du moins, on n’a pas pris le temps d’en mesurer toute l’étendue. Toute question, aussi bête soit-elle, génère immédiatement une arborescence infinie de réponses possibles, suivant les différents angles envisageables, suivant le nombre incalculable de situations qu’elle suppose, suivant l’empathie réelle dont vous êtes capable, c’est à dire votre faculté à vous mettre réellement à la place de l’autre, dont vous ne savez rien, à priori, et dont vous devez envisager, alors, toutes les facettes. Cette espèce humaine très spéciale qu’on nomme « les intellos » se noie immanquablement sous le poids de toutes les implications envisageables, tout en en oubliant la majorité, d’ailleurs, ce qui a pour conséquence immédiate qu’un intellectuel commence toujours ses réponses par un silence. Mais le terme « toujours » est, comme il est normal, ici, usurpé. Parce que, hélas, les questions sont trop souvent convenues, entendues mille fois. Conséquence, le grand homme passe en mode automatique et répond du tac au tac, comme un vulgaire intellectuel de comptoir, mais, différence, répond néanmoins, dans tous les cas, une chose élaborée, longuement mûrie, analysée et plutôt intelligente, dans les meilleurs cas. C’est une chose que tous les personnages « à la mode », en vue, ont très bien comprise et que l’on nomme « langue de bois ». Une faille dans la cuirasse de l’intellectuel, qui en a beaucoup d’autres, et qui , pour lui, tient surtout à la fatigue et à son mépris du monde tel qu’il va. On le lui reproche suffisamment pour qu’il ne paraisse pas essentiel d’y insister. Par contre, cette constatation est, le plus généralement, la porte ouverte au concept de « trahison des clercs » dont on parlait autrefois, cet autrefois où l’on parlait encore de ces problématiques aujourd’hui jugées « has been », et qui, bien qu’elle soit un peu vieillotte, ce qui ne la condamne pas à l’oubli, voire n’obère guère sa capacité à passer dans l’histoire, garde, à mon sens, quelque acuité. Il n’est qu’à voir cette rumeur récente alertant sur le fait que la politique étrangère de la France ne se ferait plus au quai d’Orsay mais dans le bureau de BHL. Je suppose que jamais aucun procès ne condamnera le sieur BHL le jour où la politique extérieure de la France sera enfin montrée du doigt pour sa responsabilité dans l’état actuel du monde terrible dans lequel nous vivons. La langue de bois, c’est un langage adopté par les clercs, quels qu’ils soient, pour se vendre, donner cette impression qu’ils sont compétents en toute circonstance, qu’ils ont la réponse. Les clercs et les politiciens étant tous concernés, ils se repaissent évidemment des médias où ils sont interrogés par d’autres tenants de ce langage sans langage, ces questions sans questionnement. Si bien que nous sommes habitués aux discours creux, aux poncifs, en un mot : à la crétinerie. Je n’ai rien à en dire de plus. Si cela ne me plaît pas, je n’ai qu’à couper le son. Mon problème, c’est que la règle impose à tous le standard actuel des « réponses immédiates ». Particulièrement aux médias et aux politiciens. Il ne s’agit plus d’être intelligent. Il faut faire « le malin ». En quelques exemples simples : GW Bush, Sarkozy, Hollande, Valls, Poutine, Blair, Cameron... En gros, un fait divers, une loi, un attentat, une guerre. N’importe quel dirigeant un tant soit peu sensé prendrait au moins une à deux semaines de réflexion avant de modifier la loi, la constitution et, partant, le futur de son pays ou de mobiliser les troupes.. Les nôtres, non. Ça, c’est la preuve irréfutable de leur indécrottable crétinerie. D’une personne qui réagit trop tard, on dit souvent qu’il a l’esprit d’escalier, celui qui se manifeste une fois la porte refermée seulement. Peut-être devrait-on multiplier les escaliers dans les allées du pouvoir.



mardi 10 novembre 2015

Je suis une machine frappée d'obsolescence programmée


L’obsolescence programmée est une chose qui me concerne. Pas du point de vue matériel, non. Ce concept me concerne moi, moi en tant que personne. Je suis un être humain dont l’obsolescence a été programmée. De manière politique. Tout cela vient de la différence entre tradition et culture. Je suis né dans une famille que, à l’époque, on qualifiait de prolétaire. En ce temps, la culture était la propriété exclusive de la classe dirigeante. Avec des nuances, le mépris, par exemple, qu’on pouvait avoir pour les nouveaux riches, les B.O.F. au sortir de la guerre ( Beurre, Oeufs, Fromages, tous les gens qui s’étaient enrichis du marché noir) et toutes les madames sans-gêne. Le « peuple », quant à lui, avait des traditions. A commencer par la religion, différente selon les nations mais toujours instrument de domination et complice du pouvoir. La tradition, c’était aussi la guerre où l’on envoyait « la chair à canon ». La tradition, c’était aussi le folklore et tout un tas de cérémonies, certaines dite « de passage », comme le mariage ou le service militaire. Or, depuis la Révolution Française, une partie des élites s’est dissociée de sa classe de naissance et s’est attachée à faire partager la culture au peuple. Parmi ces mouvements, bien entendu, le communisme qui, on peut le lui reconnaître, à toujours mis au premier plan de ses préoccupations l’éducation des masses. Bien entendu derechef, cette éducation est soumise à caution, dans son côté manipulatoire et son caractère moult fois constaté de mensonge « plus beau que les anciens mensonges » ( Aragon in Les Poètes). Le paroxysme étant, pour ma génération, le « petit livre rouge » de Mao. Mais ce mensonge nouveau ne peut être jugé isolément du fait qu’il remplace un autre mensonge et que les tenants du pouvoir, eux-mêmes, se sont toujours évertué à enseigner au « peuple » des vertus qu’ils ne respectaient pas eux-mêmes. La religion, évidemment, la fidélité conjugale, les mœurs d’une manière générale, y compris une sexualité interdite, la gestion parcimonieuse de l’argent, le respect d’autrui, la générosité, ce que l’église appelle les péchés capitaux, dont on peut constater, pour tous, que si le paradis existait, les puissants n’y auraient manifestement pas droit. Mais, le paradis, c’est évidemment une création des dominants pour asseoir leur domination sur un peuple inculte, volontairement soumis par eux à l’inculture. Le paroxysme de la prise de pouvoir des « humbles » sur la culture dite « bourgeoise », c’est, pour moi et, je pense, d’une manière générale, 1968. Citer 68 fait aujourd’hui sourire. C’était pourtant tout sauf une plaisanterie. Cette année-là et celles qui l’ont suivie, ont marqué la prise de pouvoir d’une partie du peuple sur la culture. Pas dans la dénonciation de cette culture. Dans l’accaparement de cette culture. La motivation profonde était on ne peut plus claire : pour lutter contre le poids des traditions qui oppriment les masses et les maintiennent en ignorance, la seule solution est de l’éduquer. Pour nous, la culture, ce n’était rien d’autre qu’un processus rationnel pour éliminer les traditions, à commencer par la religion, parce qu’en prime, nous étions tous absolument agnostiques. Nous y avons beaucoup travaillé. En vain, comme nous l’allons voir. En 1968, la bourgeoisie française, autant culturelle qu’économique, a senti le vent du boulet. Si le peuple est cultivé, alors !... En quelques années, les masques sont tombés. A l’ennemi héréditaire du « bas peuple », il ne restait que deux solutions, cette fois nous en étions certains : s’excuser ou bien tomber dans le facisme, les phrases terribles de Goebells sur la culture, par exemple. Ma génération n’a pas su, pas pu, probablement, profiter de cet avantage. Parce que le pouvoir bourgeois est un Phénix. Même par terre, même en cendre, il sait renaître. Le double défi auquel il était confronté était clair : pour maintenir son pouvoir, discréditer les traditions, pour maintenir son pouvoir, trouver une autre forme de domination silencieuse et indolore. Son problème, c’étaient les gens comme moi, très nombreux à l’époque, réellement nés dans une étable entre un bœuf et un âne ( joke !..) et qui avaient lu. Beaucoup lu, beaucoup fréquenté les théâtres, écouté de la musique, classique compris, qui, donc, avaient visiblement franchi le mur sans avoir le passeport tamponné par les instances reconnues. Dès cet instant, pour eux, le niveau de culture ne pouvait donc plus rester un critère objectif de la valeur d’un homme selon leurs critères. Il fallait inventer une nouvelle sorte de religion. Le choix était évident : l’argent. Option possible, rétablir l’emprise de la religion sécularisée, option qui, aujourd’hui, est manifestement sur le devant de la scène. L’idée était simple et a marché, évidemment, puisqu’elle était simple, voire simpliste. On appelle cela la « propagande ». Quand on a de l’argent, on peut, par exemple, magouiller le marché de l’art et imposer comme géniaux des créations dont le peuple, toujours aussi ignorant, décidément, dira une chose imbécile : un enfant de cinq ans pourrait le faire. Le lapin de garenne ne voit jamais le piège qui va le tuer. Le but était évidemment de faire croire au peuple que « nous avons tous du talent ». Le critère, c’est évidemment combien ça se vend. Et, comme vous savez, l’argent, c’est pas nous qui l’avons. Le but final, c’était donc de rétablir la valeur de la « tradition » en face de ce que nous savons être, tous, la culture. Un africain qui taille sommairement un masque dans une écorce, c’est évidemment aussi intéressant qu’une toile de Van Gogh ou de Picasso. Un DJ, c’est pareil que Mozart, un slameur, c’est pareil qu’Aragon, un type qui a été un cancre stupide toute sa vie, a évidemment un discours aussi intéressant qu’un autre qui a tout lu, un type né dans les quartiers nord de Marseille est évidemment égal à celui qui est né à Neuilly, on n’est absolument pas xénophobes et un « arabe » c’est évidemment comme un « gaulois »....... Comment pourrait-on en douter ? Sauf que tout ça suppose qu’il n’y ait plus aucun miroir dans notre univers familier. Impossible de casser tous les miroirs. Il fallait donc en créer un nouveau, un primordial, un qui ferait oublier tous les autres. Ils ont appelé ça « la télé ». Ils y ont mis tout leur pognon. Tu l’allumes et tu es à l’écran. Pari gagné. Vous trouvez ces mots outranciers ? Pari gagné. Ce que vous devriez comprendre, c’est que c’était ça, le plan. Éliminer tous ces gens, dont je fais modestement partie, qui ont une vision décalée de la réalité sociétale. Mes camardes et moi, on s’est tout simplement fait baiser. Le problème, c’est que, personnellement, je ne vois pas vraiment la sortie. Aujourd’hui, vous semblez tous convaincus que la culture et la tradition, c’est pareil. Par exemple, un algérien est de « culture » arabe, un sénégalais de « culture » africaine. J’en ai le cul troué. Non, non, pas de « culture »... De tradition. La culture, c’est encore ce qui remet en cause les traditions, c’est le résultat d’un long apprentissage et non d’un hasard de naissance. D’ailleurs, regardez simplement dans quelles écoles les dominants font leurs études - et continuent d’y envoyer leurs descendants.... C’est tout simplement évident.....

Je suis donc bien la victime involontaire et sans rancune d’une obsolescence programmée politiquement et financièrement. Tout ma vie j’ai bossé pour être cultivé, bourgeoisement s’entend, et, quand j’y suis à peu près parvenu, la culture avait disparu, sous l’action concertée des puissances d’argent. Victime involontaire de l’une des seules périodes de l’histoire de notre pays où l’ascenseur social fonctionnait. Je n’en veux à personne. De ce voyage, j’ai gardé pour moi la culture, tout au long d’un chemin dont je me dis aujourd’hui que je n’aurais pas aimé en parcourir un autre. Par contre, à ceux qui trouveraient encore ça comique, je signale que le « parti de l’inculture » risque d’être prochainement aux manettes parce que vous l’aurez élu. Et, là, je pressens que ma culture pourrait enfin me servir à sauver ma peau......