La vache!.. Un moment, j’ai eu peur... J’étais au clavier, là, as usual, et c’était l’heure de la philo, sur France-cul, et là!.... Badablang!... Hume, scepticisme (prononcez “skeptissizem”...) , Schrödinger, Heisenberg, l’incertitude, le doute, la physique quantique.... Tout à coup, j’avoue, j’ai chancelé.... Ach!.. Le doute!.... N’aurais-je pas tout à fait compris?.... Il m’a fallu une demi-heure.... Et trente minutes, dans la vie d’un type comme moi, c’est absolument terrible!.... Il faut que je vous avoue une tare irrémédiable: je suis un scientifique..... Et pas un amateur, hein, un estampillé.... Bac plus cinq.... Et, conséquence mais autre tare insurmontable, je suis passé à la littérature par le biais du livre d’un physicien, W. Heisenberg, qui a pour titre: physique et philosophie. Heisenberg, c’est l’inventeur du principe d’incertitude..... Comme vous n’êtes pas forcément scientifiques vous-mêmes, je vous explique ce qu’est un principe: un “truc machin” qui s’applique et que l’on n’est pas, pour l’instant, capable d’expliquer. Celui d’Archimède est célèbre... Il y eût un long temps celui de Fermat mais un petit génie a réussi, celui-là, à le démontrer.... Ce qui n’est pas rien!.. Mais démontrer que les principes, au sens mathématique, des fois, ça décrit la réalité n’est pas une nécessité absolue... La seule chose qui manque, c’est la démonstration.... Mais les principes, en général, eux, décrivent la réalité, avec ou sans... Je suis donc absolument désolé d’avouer ici que ma pensée repose sur un principe... ce qui signifie que j’espère que, quelque jour, il sera enfin démontré... Ce qui est une tare, j’en conviens.. Et, je m’en excuse, je suis donc comme tout le monde: j’ai des certitudes..... Cela avoué, on pourrait causer de la nature des certitudes de chacun.. Là, je sens qu’on va se fâcher... Et, donc, voilà que France-cul attaque au marteau-piqueur ma certitude fondatrice: le principe d’incertitude de W. Heisenberg. Tout est passible de remise en cause, vous dites? Ben, évidemment, c’est d’ailleurs pour ça que j’en suis bouleversiffié... Je pourrais vous parler de votre propre capacité à vous remettre en cause.... Ce ne serait pas triste... Mais ce ne serait qu’une défense.... Une justification....
Au bout d’une demi-heure, je me suis rendu compte que les invités de l’émission étaient tous des littéraires. Alors vous allez me dire que je me suis raccroché à mes branches... Ces foutus littéraires n’y connaissent rien en sciences et c’est donc normal, pour moi, qu’ils paraissent à côté de la plaque... Et vous aurez raison... Sauf que, si vous me lisez, vous savez que je viens de mettre le doigt sur un problème que j’ai déjà soulevé: le manque de culture scientifique qui concerne, par exemple, un homme comme Camus, qui ne conclut à “l’absurde”, à mon sens, que parce qu’il manque cruellement du recul que pourrait lui donner une culture scientifique dans sa conception de l’univers. En gros, ce n’est pas parce qu’on ne comprend pas qu’il n’y a rien à comprendre.... C’est, pour le moins, un peu court.... Autrement dit : ce n’est pas parce qu’on ne trouve pas de sens à l’organisation de la matière qu’il n’y a pas de sens à l’organisation de la matière.. Mais c’est encore assez faible, comme vertige... Parce que, lorsqu’on jouit d’une éducation scientifique rigoureuse, ce dont on s’aperçoit, à terme, c’est que l’absence de sens n’est pas en soi un problème. Mieux!, que c’est la recherche de sens qui interdit de trouver un sens éventuel.... Parce que toute quête de sens est obligatoirement une réduction du champs du possible.... Pour moi, cette constatation repose sur la lecture du livre de W. Heisenberg. Je suppose qu’il existe d’autres chemins pour en arriver à ce point. Mais ce qui est essentiel dans les considérations philosophiques de Heisenberg, c’est qu’il existe des limites intangibles à notre quête de savoir, à la recherche de sens. En énonçant qu’on ne peut, mathématiquement, pas connaître à la fois la position et la vitesse d’une particule, Heisenberg pose un jalon, sème un caillou, qui nous dit une chose: on ne peut pas tout savoir. En d’autres termes: la science a ses propres limites et ne pourra pas percer tous les mystères de la matière, de la vie, de l’univers.... A partir de lui, on sait que c’est impossible.... La géométrie, me disait un maître d’école de mon enfance, c’est l’art de raisonner vrai sur des figures fausses... Et peu m’importe, en vérité, de savoir si Heisenberg a ou non découvert un vrai principe, démontrable ou non. Il a levé un coin du voile sur notre devenir: depuis lui, on sait qu’il existe, qu’il pourrait exister, des choses, des phénomènes, qu’on n’expliquera jamais. Il a fixé une borne à la connaissance. Un putain de pavé dans la mare de tous ceux qui croient que le progrès peut mener toujours plus loin. D’un point de vue littéraire ou bien psychologique, ce genre d’affirmation génère logiquement une protestation évidente: la première limite au savoir de l’Homme, c’est bien entendu l’Homme lui-même. Ce qu’il trouve dépend entièrement de ce qu’il cherche.... Mais aussi des moyens qu’il se donne pour le rechercher. En particulier de sa capacité à remettre en cause ses propres certitudes. C’est d’une logique imparable. Si j’admets que la connaissance pourrait avoir des limites, c’est qu’il m’est favorable d’admettre que la connaissance peut en avoir. C’est exactement le genre de protestation que vous soulevez lorsque vous tentez d’expliquer à un quidam que la vitesse de la lumière est une barrière infranchissable pour notre forme d’organisation. Immédiatement, vous pouvez voir dans ses yeux le doute bonhomme s’installer, doute qui repose sur une croyance: si on ne parvient pas à franchir la vitesse de la lumière, c’est évidemment parce qu’on n’a pas inventé le moteur capable de nous y propulser. Ce n’est qu’une question de temps. Et bien non. Ce n’est pas une question de progrès. C’est tout bonnement impossible. Ce genre de limite posé à l’imaginaire humain n’est pas très bien pris. Comme si on remettait en cause la liberté fondamentale de l’être humain en énonçant des vérités intangibles de cette sorte. C’est agaçant. Je pense que poser une limite au savoir humain est du même ordre. En ce sens, Heisenberg est un des rares très grands esprits de notre histoire. Une rupture véritable dans l’univers de la pensée... Mais si l’agacement est votre tasse de thé, je peux en rajouter: je connais d’autres limites aux possibilités de la matière.
Quant à mon émission, je me suis rassuré lorsque j’ai entendu l’un des intervenants expliquer très sérieusement que l’impossibilité face à laquelle nous a amenés Heisenberg tenait uniquement à la nature même de la mesure, c’est à dire à la perturbation introduite dans la mesure par l’instrument lui-même. Et ça, désolé, on n’en sait rien. Et on est bien incapable de l’affirmer. Peut-être que c’est l’instrument... Ce qui est la version la plus simpliste.... Mais peut-être que c’est une propriété intrinsèque de la matière. On n’en sait absolument rien. Et on n’en saura probablement jamais rien. Cette émission portait sur les philosophes sceptiques. Il est notable de constater que les intervenants ne semblaient pas atteints, eux-mêmes, par un doute quelconque sur la capacité de l’Homme à connaître... Mais peu importe, au fond, de savoir si oui ou non Heisenberg a énoncé ou non un principe. Un véritable principe. Qui se vérifie ou se vérifiera quoi qu’on fasse ou sache. Ce qui compte, c’est qu’il a mis le doigt sur une problématique dont tous les scientifiques les plus performants ont toujours eu une conscience vague mais profonde: l’Homme ne peut pas tout savoir. C’est un concept absolument révolutionnaire aujourd’hui encore.
lundi 15 février 2010
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