mercredi 10 février 2010

L'argument du Boeing

L’un des arguments des créationistes, aujourd’hui dénommés “tenants du dessein intelligent”, est celui du “Boeing”... Voir à ce sujet “Pour en finir avec dieu”, de Richard Dawkins (ed Perrin/Tempus). Pour résumer: combien de chances pour qu’un vent soufflant sur une décharge puisse réunir en un point tous les éléments nécessaires ( qui s’y trouvent, en général!...) et puisse les assembler pour former un Boeing?.... Ne calculez pas.. C’est un sur des milliards de milliards.... Argument qui sous-entend, donc, que la machine humaine ne peut être le fruit d’un hasard, que pour en arriver à l’Homme, il faut une idée au départ.. Ce sont les “statistiques” qui nous l’enseignent. Et bien, je le crois, tout est là, effectivement... Et le problème est d’une complexité absolument effarante... A tel point que je ne sais pas par où commencer... Remarque qu’il convient de tempérer par le célèbre: “Tout est dans tout et réciproquement, le reste, c’est dans Victor Hugo!..”

Commençons par le fait que, pour ces gens, mais c’est également le cas de ceux qui s’évertuent à répondre logiquement à cet argument, tels Dawkins lui-même, pour ces gens, donc, l’organisation optimale des atomes contenus dans une décharge, c’est un Boeing... Admettez qu’on peut en douter. Personnellement, je préfère le foie gras... Mais le sous-entendu, c’est évidemment que l’organisation optimale des atomes qui peuplent la surface de la Terre est... l’Homme!... Et là!... Le moins qu’on puisse en dire, c’est que nous serions face à un anthropocentrisme évident. Nous savons aujourd’hui avec de bonnes chances de ne pas nous tromper, que l’Homme aurait pu ne pas apparaître, qu’étant apparu, il aurait pu disparaître (Voir: Avant Adam, de J. London), comme ce fut le cas de Neanderthal, et que, dans le cas où, aujourd’hui, la Terre ne serait plus peuplée d’humains, ce serait une autre espèce qui dominerait à sa surface. Mais, bien entendu, je viens de pisser dans un Stradivarius... Les créationistes ne “croient” pas en l’évolution. Ils “croient” que dieu aurait déposé l’Homme sur Terre dans sa forme définitive et à son image. Ils “croient” donc bel et bien que l’Homme est la forme suprême d’organisation des atomes dans l’univers. En résumé, ils placent la valeur de leur propre vie au-dessus de toute autre. Leur argumentation repose sur la complexité de la machine humaine. Une telle perfection ne peut pas être le fruit du hasard. Ce qui ramène, d’emblée, à la définition de la perfection. Ainsi, l’hypothèse même d’une intervention divine, puisqu’elle place l’être humain au sommet de la hiérarchie terrestre, est à la fois la question et la réponse. Dans cette logique, on perçoit clairement que le débat ne peut avoir lieu. Il n’y a pas de débat. Il ne pourrait y avoir que des preuves. Aux preuves scientifiques que nous pourrions leur asséner, à mon sens écrasantes, les créationistes répondent par le Boeing. Le hasard ne peut aboutir à une machine aussi parfaite qu’un Boeing. Mais parfaite pour qui? En quoi un Boeing est-il plus parfait que les falaises d’Etretat, par exemple? Ou qu’une fourmi? Car, il faut l’avoir présent à l’esprit, la fourmi, elle, les singes, pourraient être les fruits du hasard. L’évolution existe, pour ces gens, mais ne concerne pas l’Homme.

Cela me fait penser au cube de Mr Rubik. De toutes les possibilités de configuration de ce cube, une seule nous intéresse: celle où toutes les faces sont d’une seule couleur. Pourtant, chacune des configurations possibles est à la fois aussi probable que celle-là et a, d’un point de vue logique, autant d’intérêt. De plus, si je vous donne un cube aux faces brouillées et que je vous demande, après quelques tours de mélange, de me refaire exactement la figure que je vous ai montrée, je vous fous mon billet que vous en êtes incapable. Ce qui veut dire, en clair, que, si je vous donne une décharge, vous aurez autant de mal à faire avec ce que vous y trouvez un Boeing que de me refaire la décharge, dans l’ordre exact où elle était au départ... Il existe donc bien une finalité pré-envisagée dans le fait que l’on considère le Boeing comme ayant plus d’intérêt que la décharge. Et c’est évidemment le même problème que le précédent: la prééminence, dans l’esprit des créationistes, autant que dans celui des contradicteurs, d’une part, de l’Homme, d’une autre, de ce qui lui est utile. Les tenants du dessein intelligents se mordent la queue uniquement parce qu’ils considèrent l’Homme comme l’aboutissement absolu de l’évolution et qu’ils n’accordent aucune valeur à toute autre forme d’organisation des atomes, ce qui s’entrevoit lorsqu’elle est inerte, mais qu’ils considèrent également comme négligeable toute autre forme d’organisation vivante autre que l’Homme. Cette idée est depuis longtemps contredite par les anti-humanistes, depuis Montaigne au moins. Contredite également par tous ceux qui militent pour une reconnaissance de la vie au sens strict, y compris, donc, celle du règne animal non humain.

L’inculture semble donc bien être le fondement du créationisme. S’il est permis de douter de l’inculture des inspirateurs de cette “théorie”, il l’est moins pour ce qui concerne les adeptes. L’inculture et la certitude de leur absolue domination dans l’échelle des valeurs universelles. En ce sens l’humanisme, terme aujourd’hui employé à tous vents, mérite amplement critique. En quoi l’Homme serait-il supérieur au reste de l’univers? Mais leurs contradicteurs ne me semblent pas non plus exempts de reproches. Considérer l’hypothèse du Boeing au point d’y répondre me semble en être la marque. Inculture, certes, mais pas uniquement inculture. Car le raisonnement repose sur “des” considérations scientifiques. Ne serait-ce que le point de vue statistique de l'argumentaire... S’il n’y a que très peu de place pour le hasard, c’est bien que ce hasard, celui qui conduirait à la création de l’être humain, jouit d’une très faible probabilité... et les probabilités, c’est de la mathématique. Plus que d’inculture, donc, il s’agit d’une exploitation de la culture dans le sens recherché. Et, donc, d’un sens de l’à-priori... Cet à-priori, c’est évidemment que l’Homme est à part dans le processus de création.... Quelle probabilité avez-vous, lorsque vous prendrez votre automobile demain matin qu’il ait neigé et que, lors de votre parcours, vous rencontriez le bus qui va vous tuer? Zéro!... Pourtant, cela pourrait arriver. Et je vous fous mon billet que, si cela se produit, il y aura un tas de gens capables d’expliquer que cela ne pouvait se produire.. Et d’autres qui vous démontreront que cela était inéluctable.

La seule réponse que j’envisagerais à la question du Boeing serait: pourquoi un Boeing?

Tout à fait fortuitement, je tiens à faire remarquer ici que le correcteur d’orthographe de mon ordinateur, qui ignore le terme ”créationisme” (c’est assez heureux!...) , me propose, en remplacement, le mot : crétinisme.

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