dimanche 15 avril 2012

Livres

«Ceux qui brûlent des livres finissent tôt ou tard par brûler des hommes». Heinrich Heine (1797-1856). Cette citation de Heine est très souvent appliquée au troisième Reich. Ce qui peut paraître anachronique, puisqu’il écrivait cela au dix neuvième siècle et que, à n’en pas douter, il faisait plutôt référence à l’inquisition et au passage aux bûchers d’hérétiques après qu’on a brûlé des livres interdits. Peut-être fait-il, même, allusion au glissement sémantique qui a conduit à nommer “autodafé” les bûchers d’hérétiques et non plus de livres. On parle donc de phrase “visionnaire”, puisqu’elle semblerait annoncer, justement, les crimes nazis. Là encore, on peut s’interroger sur la chronologie des faits. Dès 1925, dans mein kampf, Hitler faisait allusion aux juifs, aux communistes et aux Tziganes comme éléments “non allemands”. Et, à n’en pas douter, l’idée même d’élimination de ces populations pourrait bien avoir germé dans son esprit malade bien avant 1933, date du grand autodafé nazi. On peut donc s’interroger sur des variantes de la phrase de Heine: ne seraient-ce pas plutôt ceux qui peuvent brûler des hommes qui brûlent des livres? Ce qui m’embête un peu plus dans cette phrase, très utilisée par les penseurs romantiques au grand coeur, c’est l’espèce d’équivalence, qu’elle contient indéniablement, entre hommes et livres. Tout écrivain raisonnablement sensé devrait convenir qu’on doit pouvoir donner tous les livres pour sauver un homme, à plus forte raison une communauté. Les livres sont des productions humaines et leur côté sacré n’est pas, à première vue, évident. Sauf à considérer que tout livre est une réplique “du livre”. Une mystique, en quelque sorte. La “religion” du livre. Que serait le monde sans livres, me direz-vous? Il est certain qu’il serait autre. Meilleur? Pire? Qui peut dire? Mais il est un cas où l’assimilation entre livre et Humain ne peut s’opérer. Je veux parler des civilisations orales, comme il en existait, par exemple, et il y a peu, comme il en existe encore, en, Asie, en Afrique, avec les célèbres Griots. Un Griot qui meurt c’est une bibliothèque qui brûle, disait-on à l’envi. Dans ces sociétés, en tous cas, pas question de brûler des livres, même pas de savoir si l’on commence par le livre ou par l’Homme, ce qui n’a en rien empêché de brûler des Hommes. Il y aurait là comme une déconnexion entre les deux que je n’en serais pas étonné. Ce qui me donne à penser que l’équivalence livre-Homme ne peut avoir lieu que dans un seul endroit. Et, cet endroit, c’est évidemment le cerveau du tortionnaire. Ce personnage est un être illuminé, au mieux, fanatique et barbare, en général, inculte, la plupart du temps. Pour lui, pour ses acolytes fanatisés, un être humain n’a pas plus de valeur qu’un morceau de papier. Pour lui et pour lui seulement, brûler un livre, qu’il abhorre évidemment, puisqu’inculte et plein de ressentiment face à la culture, brûler un livre, donc, c’est aussi grave ou aussi peu grave que brûler un homme. Ceci posé, reste à comprendre pourquoi le consensus sur l’équivalence perdure et pourquoi de nombreux intellectuels continuent d’affirmer que brûler des livres ce serait comme brûler des Hommes, ou, plus exactement, que brûler des livres indiquerait une capacité à brûler ensuite des Hommes. Je ne vois pas d’autre explication que celle évoquée plus haut : pour eux, un livre est sacré. Ils croient en la “religion du livre”. Bien qu’écrivain, bien que passioné de littérature, bien que persuadé de l’immense importance de la culture livresque, je vous l’avoue : je veux bien qu’on brûle des livres, et même pour de très mauvaises raisons. On se sortira de ce massacre. Voir Farenheit 451. Mais à condition qu’on ne touche pas un seul cheveu de la tête d’aucun humain. Et si vous me répondez que l’un ne peut pas aller sans l’autre, je vous répondrai que vous m’avez sûrement mal lu ou bien que vous êtes.....


PS: Je ne peux pas laisser ces points de suspension sans explication, supputant que vous allez y mettre immédiatement le mot con. Ce n’est pas le sens induit. Ce que je voulais suggérer, c’est que vous êtes l’un, graine de dictateur, ou l’autre, religieusement attaché au livre.... Mais, ceci dit, votre élan premier était peut-être le bon.

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