lundi 15 février 2010

L'incertitude de Heisenberg

La vache!.. Un moment, j’ai eu peur... J’étais au clavier, là, as usual, et c’était l’heure de la philo, sur France-cul, et là!.... Badablang!... Hume, scepticisme (prononcez “skeptissizem”...) , Schrödinger, Heisenberg, l’incertitude, le doute, la physique quantique.... Tout à coup, j’avoue, j’ai chancelé.... Ach!.. Le doute!.... N’aurais-je pas tout à fait compris?.... Il m’a fallu une demi-heure.... Et trente minutes, dans la vie d’un type comme moi, c’est absolument terrible!.... Il faut que je vous avoue une tare irrémédiable: je suis un scientifique..... Et pas un amateur, hein, un estampillé.... Bac plus cinq.... Et, conséquence mais autre tare insurmontable, je suis passé à la littérature par le biais du livre d’un physicien, W. Heisenberg, qui a pour titre: physique et philosophie. Heisenberg, c’est l’inventeur du principe d’incertitude..... Comme vous n’êtes pas forcément scientifiques vous-mêmes, je vous explique ce qu’est un principe: un “truc machin” qui s’applique et que l’on n’est pas, pour l’instant, capable d’expliquer. Celui d’Archimède est célèbre... Il y eût un long temps celui de Fermat mais un petit génie a réussi, celui-là, à le démontrer.... Ce qui n’est pas rien!.. Mais démontrer que les principes, au sens mathématique, des fois, ça décrit la réalité n’est pas une nécessité absolue... La seule chose qui manque, c’est la démonstration.... Mais les principes, en général, eux, décrivent la réalité, avec ou sans... Je suis donc absolument désolé d’avouer ici que ma pensée repose sur un principe... ce qui signifie que j’espère que, quelque jour, il sera enfin démontré... Ce qui est une tare, j’en conviens.. Et, je m’en excuse, je suis donc comme tout le monde: j’ai des certitudes..... Cela avoué, on pourrait causer de la nature des certitudes de chacun.. Là, je sens qu’on va se fâcher... Et, donc, voilà que France-cul attaque au marteau-piqueur ma certitude fondatrice: le principe d’incertitude de W. Heisenberg. Tout est passible de remise en cause, vous dites? Ben, évidemment, c’est d’ailleurs pour ça que j’en suis bouleversiffié... Je pourrais vous parler de votre propre capacité à vous remettre en cause.... Ce ne serait pas triste... Mais ce ne serait qu’une défense.... Une justification....

Au bout d’une demi-heure, je me suis rendu compte que les invités de l’émission étaient tous des littéraires. Alors vous allez me dire que je me suis raccroché à mes branches... Ces foutus littéraires n’y connaissent rien en sciences et c’est donc normal, pour moi, qu’ils paraissent à côté de la plaque... Et vous aurez raison... Sauf que, si vous me lisez, vous savez que je viens de mettre le doigt sur un problème que j’ai déjà soulevé: le manque de culture scientifique qui concerne, par exemple, un homme comme Camus, qui ne conclut à “l’absurde”, à mon sens, que parce qu’il manque cruellement du recul que pourrait lui donner une culture scientifique dans sa conception de l’univers. En gros, ce n’est pas parce qu’on ne comprend pas qu’il n’y a rien à comprendre.... C’est, pour le moins, un peu court.... Autrement dit : ce n’est pas parce qu’on ne trouve pas de sens à l’organisation de la matière qu’il n’y a pas de sens à l’organisation de la matière.. Mais c’est encore assez faible, comme vertige... Parce que, lorsqu’on jouit d’une éducation scientifique rigoureuse, ce dont on s’aperçoit, à terme, c’est que l’absence de sens n’est pas en soi un problème. Mieux!, que c’est la recherche de sens qui interdit de trouver un sens éventuel.... Parce que toute quête de sens est obligatoirement une réduction du champs du possible.... Pour moi, cette constatation repose sur la lecture du livre de W. Heisenberg. Je suppose qu’il existe d’autres chemins pour en arriver à ce point. Mais ce qui est essentiel dans les considérations philosophiques de Heisenberg, c’est qu’il existe des limites intangibles à notre quête de savoir, à la recherche de sens. En énonçant qu’on ne peut, mathématiquement, pas connaître à la fois la position et la vitesse d’une particule, Heisenberg pose un jalon, sème un caillou, qui nous dit une chose: on ne peut pas tout savoir. En d’autres termes: la science a ses propres limites et ne pourra pas percer tous les mystères de la matière, de la vie, de l’univers.... A partir de lui, on sait que c’est impossible.... La géométrie, me disait un maître d’école de mon enfance, c’est l’art de raisonner vrai sur des figures fausses... Et peu m’importe, en vérité, de savoir si Heisenberg a ou non découvert un vrai principe, démontrable ou non. Il a levé un coin du voile sur notre devenir: depuis lui, on sait qu’il existe, qu’il pourrait exister, des choses, des phénomènes, qu’on n’expliquera jamais. Il a fixé une borne à la connaissance. Un putain de pavé dans la mare de tous ceux qui croient que le progrès peut mener toujours plus loin. D’un point de vue littéraire ou bien psychologique, ce genre d’affirmation génère logiquement une protestation évidente: la première limite au savoir de l’Homme, c’est bien entendu l’Homme lui-même. Ce qu’il trouve dépend entièrement de ce qu’il cherche.... Mais aussi des moyens qu’il se donne pour le rechercher. En particulier de sa capacité à remettre en cause ses propres certitudes. C’est d’une logique imparable. Si j’admets que la connaissance pourrait avoir des limites, c’est qu’il m’est favorable d’admettre que la connaissance peut en avoir. C’est exactement le genre de protestation que vous soulevez lorsque vous tentez d’expliquer à un quidam que la vitesse de la lumière est une barrière infranchissable pour notre forme d’organisation. Immédiatement, vous pouvez voir dans ses yeux le doute bonhomme s’installer, doute qui repose sur une croyance: si on ne parvient pas à franchir la vitesse de la lumière, c’est évidemment parce qu’on n’a pas inventé le moteur capable de nous y propulser. Ce n’est qu’une question de temps. Et bien non. Ce n’est pas une question de progrès. C’est tout bonnement impossible. Ce genre de limite posé à l’imaginaire humain n’est pas très bien pris. Comme si on remettait en cause la liberté fondamentale de l’être humain en énonçant des vérités intangibles de cette sorte. C’est agaçant. Je pense que poser une limite au savoir humain est du même ordre. En ce sens, Heisenberg est un des rares très grands esprits de notre histoire. Une rupture véritable dans l’univers de la pensée... Mais si l’agacement est votre tasse de thé, je peux en rajouter: je connais d’autres limites aux possibilités de la matière.

Quant à mon émission, je me suis rassuré lorsque j’ai entendu l’un des intervenants expliquer très sérieusement que l’impossibilité face à laquelle nous a amenés Heisenberg tenait uniquement à la nature même de la mesure, c’est à dire à la perturbation introduite dans la mesure par l’instrument lui-même. Et ça, désolé, on n’en sait rien. Et on est bien incapable de l’affirmer. Peut-être que c’est l’instrument... Ce qui est la version la plus simpliste.... Mais peut-être que c’est une propriété intrinsèque de la matière. On n’en sait absolument rien. Et on n’en saura probablement jamais rien. Cette émission portait sur les philosophes sceptiques. Il est notable de constater que les intervenants ne semblaient pas atteints, eux-mêmes, par un doute quelconque sur la capacité de l’Homme à connaître... Mais peu importe, au fond, de savoir si oui ou non Heisenberg a énoncé ou non un principe. Un véritable principe. Qui se vérifie ou se vérifiera quoi qu’on fasse ou sache. Ce qui compte, c’est qu’il a mis le doigt sur une problématique dont tous les scientifiques les plus performants ont toujours eu une conscience vague mais profonde: l’Homme ne peut pas tout savoir. C’est un concept absolument révolutionnaire aujourd’hui encore.

mercredi 10 février 2010

L'argument du Boeing

L’un des arguments des créationistes, aujourd’hui dénommés “tenants du dessein intelligent”, est celui du “Boeing”... Voir à ce sujet “Pour en finir avec dieu”, de Richard Dawkins (ed Perrin/Tempus). Pour résumer: combien de chances pour qu’un vent soufflant sur une décharge puisse réunir en un point tous les éléments nécessaires ( qui s’y trouvent, en général!...) et puisse les assembler pour former un Boeing?.... Ne calculez pas.. C’est un sur des milliards de milliards.... Argument qui sous-entend, donc, que la machine humaine ne peut être le fruit d’un hasard, que pour en arriver à l’Homme, il faut une idée au départ.. Ce sont les “statistiques” qui nous l’enseignent. Et bien, je le crois, tout est là, effectivement... Et le problème est d’une complexité absolument effarante... A tel point que je ne sais pas par où commencer... Remarque qu’il convient de tempérer par le célèbre: “Tout est dans tout et réciproquement, le reste, c’est dans Victor Hugo!..”

Commençons par le fait que, pour ces gens, mais c’est également le cas de ceux qui s’évertuent à répondre logiquement à cet argument, tels Dawkins lui-même, pour ces gens, donc, l’organisation optimale des atomes contenus dans une décharge, c’est un Boeing... Admettez qu’on peut en douter. Personnellement, je préfère le foie gras... Mais le sous-entendu, c’est évidemment que l’organisation optimale des atomes qui peuplent la surface de la Terre est... l’Homme!... Et là!... Le moins qu’on puisse en dire, c’est que nous serions face à un anthropocentrisme évident. Nous savons aujourd’hui avec de bonnes chances de ne pas nous tromper, que l’Homme aurait pu ne pas apparaître, qu’étant apparu, il aurait pu disparaître (Voir: Avant Adam, de J. London), comme ce fut le cas de Neanderthal, et que, dans le cas où, aujourd’hui, la Terre ne serait plus peuplée d’humains, ce serait une autre espèce qui dominerait à sa surface. Mais, bien entendu, je viens de pisser dans un Stradivarius... Les créationistes ne “croient” pas en l’évolution. Ils “croient” que dieu aurait déposé l’Homme sur Terre dans sa forme définitive et à son image. Ils “croient” donc bel et bien que l’Homme est la forme suprême d’organisation des atomes dans l’univers. En résumé, ils placent la valeur de leur propre vie au-dessus de toute autre. Leur argumentation repose sur la complexité de la machine humaine. Une telle perfection ne peut pas être le fruit du hasard. Ce qui ramène, d’emblée, à la définition de la perfection. Ainsi, l’hypothèse même d’une intervention divine, puisqu’elle place l’être humain au sommet de la hiérarchie terrestre, est à la fois la question et la réponse. Dans cette logique, on perçoit clairement que le débat ne peut avoir lieu. Il n’y a pas de débat. Il ne pourrait y avoir que des preuves. Aux preuves scientifiques que nous pourrions leur asséner, à mon sens écrasantes, les créationistes répondent par le Boeing. Le hasard ne peut aboutir à une machine aussi parfaite qu’un Boeing. Mais parfaite pour qui? En quoi un Boeing est-il plus parfait que les falaises d’Etretat, par exemple? Ou qu’une fourmi? Car, il faut l’avoir présent à l’esprit, la fourmi, elle, les singes, pourraient être les fruits du hasard. L’évolution existe, pour ces gens, mais ne concerne pas l’Homme.

Cela me fait penser au cube de Mr Rubik. De toutes les possibilités de configuration de ce cube, une seule nous intéresse: celle où toutes les faces sont d’une seule couleur. Pourtant, chacune des configurations possibles est à la fois aussi probable que celle-là et a, d’un point de vue logique, autant d’intérêt. De plus, si je vous donne un cube aux faces brouillées et que je vous demande, après quelques tours de mélange, de me refaire exactement la figure que je vous ai montrée, je vous fous mon billet que vous en êtes incapable. Ce qui veut dire, en clair, que, si je vous donne une décharge, vous aurez autant de mal à faire avec ce que vous y trouvez un Boeing que de me refaire la décharge, dans l’ordre exact où elle était au départ... Il existe donc bien une finalité pré-envisagée dans le fait que l’on considère le Boeing comme ayant plus d’intérêt que la décharge. Et c’est évidemment le même problème que le précédent: la prééminence, dans l’esprit des créationistes, autant que dans celui des contradicteurs, d’une part, de l’Homme, d’une autre, de ce qui lui est utile. Les tenants du dessein intelligents se mordent la queue uniquement parce qu’ils considèrent l’Homme comme l’aboutissement absolu de l’évolution et qu’ils n’accordent aucune valeur à toute autre forme d’organisation des atomes, ce qui s’entrevoit lorsqu’elle est inerte, mais qu’ils considèrent également comme négligeable toute autre forme d’organisation vivante autre que l’Homme. Cette idée est depuis longtemps contredite par les anti-humanistes, depuis Montaigne au moins. Contredite également par tous ceux qui militent pour une reconnaissance de la vie au sens strict, y compris, donc, celle du règne animal non humain.

L’inculture semble donc bien être le fondement du créationisme. S’il est permis de douter de l’inculture des inspirateurs de cette “théorie”, il l’est moins pour ce qui concerne les adeptes. L’inculture et la certitude de leur absolue domination dans l’échelle des valeurs universelles. En ce sens l’humanisme, terme aujourd’hui employé à tous vents, mérite amplement critique. En quoi l’Homme serait-il supérieur au reste de l’univers? Mais leurs contradicteurs ne me semblent pas non plus exempts de reproches. Considérer l’hypothèse du Boeing au point d’y répondre me semble en être la marque. Inculture, certes, mais pas uniquement inculture. Car le raisonnement repose sur “des” considérations scientifiques. Ne serait-ce que le point de vue statistique de l'argumentaire... S’il n’y a que très peu de place pour le hasard, c’est bien que ce hasard, celui qui conduirait à la création de l’être humain, jouit d’une très faible probabilité... et les probabilités, c’est de la mathématique. Plus que d’inculture, donc, il s’agit d’une exploitation de la culture dans le sens recherché. Et, donc, d’un sens de l’à-priori... Cet à-priori, c’est évidemment que l’Homme est à part dans le processus de création.... Quelle probabilité avez-vous, lorsque vous prendrez votre automobile demain matin qu’il ait neigé et que, lors de votre parcours, vous rencontriez le bus qui va vous tuer? Zéro!... Pourtant, cela pourrait arriver. Et je vous fous mon billet que, si cela se produit, il y aura un tas de gens capables d’expliquer que cela ne pouvait se produire.. Et d’autres qui vous démontreront que cela était inéluctable.

La seule réponse que j’envisagerais à la question du Boeing serait: pourquoi un Boeing?

Tout à fait fortuitement, je tiens à faire remarquer ici que le correcteur d’orthographe de mon ordinateur, qui ignore le terme ”créationisme” (c’est assez heureux!...) , me propose, en remplacement, le mot : crétinisme.