samedi 6 juin 2009

Catastrophe

Si vous vous intéressez à l’histoire de la pensée, il ne vous aura pas échappé que le catastrophisme est depuis longtemps présent dans l’esprit des humains. La religion, elle-même, est basée sur l’idée d’une catastrophe finale, l’apocalypse, qui adviendra quelque jour, amenant avec elle l’ordre éternel et immuable d’un dieu, apportant au genre humain, enfin, la justice, l’égalité, la paix, l’éternité, bref, tout ce dont il rêve sans jamais l’avoir. Lorsque la Terre tremble, lors d’un tsunami, de toute autre manifestation catastrophique naturelle, la plupart des êtes humains voient dans ces drames la manifestation d’un dieu mécontent, la punition de leur vil comportement. La religion mise à part, est-ce possible?, l’histoire de la pensée humaine ne manque pas de prophéties catastrophistes, vous annonçant un déluge si jamais nous persistons dans telle ou telle attitude. Les progrès scientifiques, par exemple, sont générateurs de beaucoup de ces peurs. Le train, l’automobile, censés dénaturer la physiologie même des individus, l’électricité, l’envoi de fusées dans l’espace, la bombe H, l’énergie nucléaire, l’informatique, internet, toutes ces choses ont généré leur lot de prévisions apocalyptiques.

Ce qui arrive au climat terrestre, que je ne songe pas un instant à remettre en cause, le bouleversement climatique qui nous attend, avec de plus en plus de certitude et probablement à une échéance bien plus proche que ce que nous en imaginons, cet événement, à son tour, génère son lot de prophéties de fin du monde. Encore une fois, je ne nie pas que la Terre va changer. Je ne nie pas que la vie sur Terre va être bouleversée, profondément modifiée. Ce que je prétends, c’est que ce n’est pas le signe d’une fin. C’est le signe d’un changement. Et si nous nous mobilisons, ce n’est pour aucune autre raison que de vouloir que ce qui est perdure. Ce que nous voulons sauver, c’est ce monde-ci. Parce que nous le trouvons beau comme il est. Remarquons que nous ne savons absolument pas ce qu’il sera. D’emblée, nous refusons de suivre son évolution. Je dis bien évolution. Il ne s’agit en rien d’une fin. Le monde d’après la catastrophe climatique sera différent mais il sera. Le problème, pour nous, c’est de faire la différence entre le catastrophisme prophétique ambiant et la réalité d’une éventualité de plus en plus inexorable. Le catastrophisme, qu’on le veuille ou non, y compris sur la crise climatique, c’est un gouvernement par la peur. Tout se passe comme si nous avions devant nous un mur et que nous étions en train de nous précipiter dessus, l’abolissant, et, par là, libérant ce qu’il cache, en gros, l’enfer. Cette vision est totalement fausse. Il n’y a pas de mur. Nous allons passer, insensiblement, d’un état à un autre sans véritablement nous rendre compte d’un passage brutal qui n’aura pas lieu. A tel point que je vous mets au défi, et quiconque, d’ailleurs, de nous dire si nous y arrivons, à cette limite, ou bien si le monde que nous voulons sauver est déjà derrière nous. Il n’y a pas plus d’enfer sur Terre qu’il n’y a de paradis. Sur Terre, il y a la vie. Installer la population mondiale dans la crainte d’un avenir apocalyptique n’est certainement pas la meilleure chose à faire pour assurer à cette population un avenir vivable.

Je pense me connaître assez bien et, par une outrecuidance douteuse, vous connaître également assez correctement, pour savoir qu’il n’y a qu’une seule peau qu’il m’intéresse de sauver et que c’est la mienne. Vous aurez beau pousser des hauts cris, je peux vous donner des tas d’exemples où l’être humain, acculé, peut en venir à sacrifier sa propre famille. Ne nous mentons pas, si la crise climatique nous interpelle, c’est uniquement dans le sens où elle modifierait notre propre espérance de vie. Les baleines, c’est très joli, les ours blancs sont des animaux magnifiques, les papillons font la joie du regard, les abeilles sont des animaux captivants, les habitants des îles du Pacifique promises à l’engloutissement sont sûrement des gens très respectables, très amicaux, indispensables, mais, dans le tréfonds de notre esprit, tout cela ne vaut pas grand chose par rapport à nous-mêmes. Ainsi sommes-nous. Le jugement n’y changera rien. Ce n’est pas bien? La belle affaire. C’est en nous et la seule chance que nous pourrions avoir de le dominer, ce serait de commencer par l’admettre. Le problème que nous pose la crise climatique, c’est que nous en sommes à la fois les acteurs et les victimes potentielles. Acteurs, je crois que nous sommes prêts à l’entendre. Les humains qui, aujourd’hui, n’ont pas compris que c’est leur mode de vie qui conduit au changement climatique sont de moins en moins nombreux. Pour autant, les modifications de ce comportement ne s’opèrent qu’à une vitesse très lente. C’est que, victimes, nous ne sommes pas convaincus de l’être. Nos actes vont conduire à un bouleversement, certes, mais pour les autres. Encore une fois, les abeilles, les ours, la moitié du règne animal, les îles Maldives, le delta du Gange, tout ça va disparaître mais, moi (sens générique), je serai encore là. Je suis donc confronté à un choix simple: pourquoi modifier quoi que ce soit à mon confort de vie puisque, si catastrophe il y a, je n’en serai pas la victime directe? Les êtres humains, la majorité d’entre eux, ne sont pas armés pour résoudre cette contradiction. Nous (il conviendrait d’expliciter ce “nous”) tentons de les convaincre qu’il sont en train de se mettre un pistolet sur la tempe et d’appuyer sur le levier alors que, vu de leur côté, ils sont, au contraire, en train d’améliorer leur sort, d’accéder au confort, à la joie du progrès, d’augmenter leur espérance de vie. La seule amorce de solution qu’on pourrait entevoir, ce serait de situer le débat sur le plan moral. Bon courage!.. Pendant ce temps, évidemment, ça chauffe... On pourrait envisager une prise de conscience sur la nécessité, à démontrer cette nécessité, de préserver le monde tel qu’il est. Mais ce monde, et tel qu’il est, c’est leur cauchemar.. C’est dans ce monde-ci qu’ils crèvent de faim, qu’ils voient mourir leurs enfants, que leur espérance de vie se réduit de jour en jour. Quelle serait la morale qui les convaincrait de le conserver tel quel?

Si vous aimez les prophéties, je vais vous en faire une. Préparez-vous au deuil, des ours, des abeilles, de certains des Hommes, parce que le bouleversement, nous allons évidemment l’avoir. Les cris d’alarme disent que nous avons dix ans pour réagir. Je prends le risque, allez, et tant mieux si je me trompe: c’est trop tard. La seule attitude qui nous reste, c’est de préparer le changement. C’est pas joli, joli, c’est terrible, c’est une catastrophe si vous voulez. Plutôt que de rêver de conserver notre monde tel qu’il est, je crains qu’il ne soit temps de préparer celui qui nous attend.

Est-il permis de faire remarquer que, dans le fond, le problème moral posé par la crise annoncée ne semble bien concerner que les élites (on peut discuter ce terme à l’infini, ça ne changera rien au sens!)de cette planète? Et est-il permis de faire remarquer que, ce monde-ci, qu’ils semblent vouloir sauver, est justement celui qui a fait leur prospérité? Je vous fiche mon billet qu’une part assez importante des Humains à qui nous tentons de brosser un tableau apocalyptique des lendemains terrestres pensent: bien fait!.... Et je suis également convaincu que cela tient pour beaucoup à qui et de quelle manière il présente cette perspective.

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