Cette nuit, deux de mes neurones ( j’en
ai plus de deux, donc …) sont entrées en contact, me révélant la
solution à un problème intellectuel qui me tracasse depuis des
décennies. Vous connaissez les intellos. Ils s’abandonnent plus
que de raison à l’onanisme intellectuel, cette activité qui,
paraît-il, ne produirait aucun résultat. T’as qu’à croire ! …
A peu près tout ce qui nous entoure est le produit d’un instant de
plaisir solitaire d’un intellectuel. Ouvre la fenêtre, camarade,
et, dans le même temps, tes yeux. Ce qui s’est révélé, cette
nuit, vous savez ce qu’on raconte sur le sommeil, est la réponse
au délicat problème du voyage ou du chemin. Je vais expliquer, pour
les durs de la feuille : depuis quelques décennies circule, dans
l’opinion, cette idée que ce qui importe, dans la vie d’un
humain, n’est pas le but qu’il cherche à atteindre mais le
chemin qui le mène à ce but. Une pensée dite « positive »
issue du bouddhisme. Ce qui, pour moi, a toujours eu l’apparence
d’un paradoxe puisque, dans la réalité, tout chemin aboutit à un
but. Dès lors que ce but est atteint, il m’a toujours paru
difficile, voire indécidable, de distinguer entre l’importance du
but et celle du chemin. Si le chemin avait atteint un autre but, le
voyageur en serait-il vraiment satisfait ? Ce jugement ne peut
advenir que depuis la position du but. En 1968, on résumait ça par
un slogan : d’où parles-tu, camarade ? … Je vais prendre un
exemple concret. Parlons, sous l’angle du but ou du voyage, de deux
personnalités : Jean Zay ( 6 août 1904, 20 juin 1944) et de
François Mitterrand (26 octobre 1916, 8 janvier 1996). Alors ? Le
chemin ou le but ? En quatre mois, Zay a édifié l’éducation
nationale de notre époque, le CNRS, le festival de Cannes et j’en
passe beaucoup … En quatre vingts ans, Mitterrand a fait quoi ? Il
a collaboré, il a été président et il a aboli la peine de mort.
Au crédit, donc, la fin du meurtre officiel et c’est à peu près
tout. Donc : but ou voyage ? Zay, lui, son voyage a été
quasiment rectiligne : juif, de gauche ( en ce temps-là les juifs
étaient de gauche …) et, très logiquement, mort au bout des
fusils de l’extrême droite. Mitterrand, lui, c’est louvoiement,
infidélité, renoncement, dissimulation … Vous préférez quoi ?
Mitterrand, hein ?... Ne répondez pas. Dans un pays où, chaque
année, le peuple dépense plusieurs millions d’Euros pour gratter
des tickets avec lesquels on peut gagner des millions, la réponse
est évidente. L’un est mort à quarante ans au nom de ses
convictions, l’autre, qui n’en a jamais affiché aucune, a gagné
le gros lot : il a été président. Ainsi donc, ainsi donc, il
semble que le « but » ne soit pas si dérisoire que ce
qu’en pense la majorité. Surprise, non ?... Bah non, eh ! …
Qu’il est con … On le sait tous. On fait semblant. On saute de la
falaise parce que le Lemming qui nous précède a sauté. Après, on
compte sur les scientifique pour expliquer pourquoi c’était notre
destin, inévitable, on compte sur dieu, qui nous rattrapera au
dernier moment, le hasard, on appelle ça, et, surtout, on pense que
c’était pas de notre faute. Parce que, au cas où tu ne le saurais
pas, intellectuel de mes deux, on sera encore là après ! … On
croit en dieu. C’est d’ailleurs là que se trouve le nœud du
problème. La religion. Car, qu’elle soit d’origine bouddhiste,
chrétienne, juive, musulmane, ce que vous voudrez, la philosophie
positive n’est que la traduction dans la pensée de ce qu’on
pourrait nommer fatalité, le fait qu’on ne peut pas grand chose à
l’ordre des choses et que, donc, on ne peut que l’accepter. C’est
exactement l’endroit où la religion devient politique et se révèle
être un instrument au service du pouvoir. Avant tout mater toute
révolte. Et Nietzsche, me direz-vous ? Nietzsche et son éternel
retour ? Aucun rapport, dis-je. Car, dans le cas de la religion et de
la philosophie positive, autre nom de la religion, il existe une
différence essentielle. Dans l’un des cas, on accepte une fois que
le chemin est parcouru, la religion, dans l’autre, on l’accepte
d’emblée, Nietzsche. Dans le premier cas, on valorise le chemin,
dans l’autre le but. Pour en revenir à mon exemple concret, je ne
doute pas que Mitterrand ait été satisfait de son long chemin semé
de roses, dans l’autre, Zay, je pense que le chemin n’est pas
source de joie. Ce qui les réunit est simple : Zay a dû se dire que
« ça valait le coup », grâce au but atteint, et
Mitterrand … aussi. Au bout du compte, seul le but est donc
important. Mais, néanmoins, je dois reconnaître un certain
embarras. Je n’ai pas cette disposition d’esprit qui permet de
trancher sur tous les sujets qui se présentent. Bien qu’ayant vu
le fait que ce débat est très politique, que le fait qu’il fasse
appel à la religion de manière indigne, je reconnais, le débat me
laissait perplexe. Jusqu’à ce que mes deux neurones se touchent,
donc, ce court-circuit me rappelant que l’un de mes aphorismes
préférés, que nous devons à « un certain Blaise Pascal »
(Prévert, Paroles), est : « Tout le malheur du monde
vient d'une seule chose qui est de ne pas savoir demeurer en repos
dans une chambre ». Bah voilà ! … Un intello, ai-je
un jour écrit, ce n’est pas quelqu’un qui visite le monde, c’est
quelqu’un qui le convoque chaque jour dans sa chambre. Pas de
chemin. Le débat tombe. Quel chemin ? … Tous les gens qui
m’affirment que, ce qui importe, c’est le chemin, ont un sac à
dos, des chaussures de marche et parcourent le monde avec le guide du
routard en poche. Quel chemin ? … Intellectuel, alors ? Wouarfff !
… Plié en deux de rire. Intellectuel ! … Je l’ai, l’argument.
Cette fois, je l’ai. Le seul voyage qui compte est celui qu’on
fait dans sa tête. Et, celui-là, il dépend intégralement du but.
Car il n’est pas de voyage de l’esprit qu’on n’entreprenne
sans but. Sans but ni sans formation. Aucun. Désolé, camardes,
l’important, dans l’existence, et pour tous, c’est le but. Il
n’y a pas de voyage qui n’ait un but. Ne serait-ce que le but de
voyager sans but. D’ailleurs, avec rien qu’un peu de cynisme, on
pourrait penser que tous ces gens qui nous bassinent avec la beauté
du voyage pourraient bien être ceux qui, à leur grand désespoir,
n’auraient pas atteint leur but. L’être humain est ainsi fait
qu’il parvient toujours à justifier ses errances à postériori.
En ce sens, affirmer que l’important serait le voyage, c’est
reconnaître sa faillite personnelle.
mardi 12 juillet 2016
mercredi 22 juin 2016
Albert et la mort ...
Vous savez certainement que Camus n’est
pas mon écrivain préféré. Je ne parle pas du reste. Pour moi, ce
n’est même pas l’ombre d’un philosophe. Ce que j’ai contre
lui ? Sa tronche de gendre idéal. Bien propre, bien poli et, avant
tout, anticommuniste viscéral. Pas comme l’autre, là, Sartre …
J’ai aussi contre lui d’avoir rêvé être une idole, un peu
genre Dean, James, qui n’a réussi que grâce à sa gueule d’ange.
Lui, James, il est mort dans un accident avec la Porsche qu’il
conduisait, au moins. L’autre, le prix Nobel, il est mort dans un
accident, tout pareil, mais pas au volant, et dans une Facel Vega.
Minable. A ceux qui auraient encore un petit sentiment pour Albert,
je conseille la lecture de « Meursault, contre-enquête »
de Kamel Daoud. Tout simplement parce qu’il y aura toujours une
différence entre un intellectuel qui défend de sa tour des idées
dont le réel démontre qu’elles sont tragiques et ceux qui
participent activement à des ignominies. Bref, ce monsieur
sentencieux nous a asséné nombre de poncifs dont le fameux : « le
seul problème philosophique sérieux est le suicide ». A son
époque, cela pouvait passer pour pertinent. Tout simplement parce
que l’église, avec quoi il entretenait une relation ambigüe, le
condamnait absolument et que notre société était, en ces temps,
baignée de cul-bénisme. Ce n’était donc, à mon avis, qu’une
position circonstancielle et à très courte vue. Donc, en ce sens,
assez peu philosophique. Une manière de s’acheter à bon compte
une aura de « révolutionnaire ». A preuve, le fait que,
cinquante et quelques années plus tard, le problème n’est plus
central. De nos jours, le problème, c’est la mort. Voilà de
l’éternel. Mais, curieusement, l’universalité de ce problème
n’est plus le centre du débat. Car, au lieu de la considérer
comme inéluctable, nos sociétés ont versé dans sa négation. Et
même vers la négation de tous ses aspects, à commencer par le
vieillissement, qui en est la première étape. Les rues sont pleines
de sexas, de quiquas et de quadras en short, sur des planches ou
patins à roulettes, sur des trottinettes, qui tentent pathétiquement
d’oublier leur âge, de faire comme si la fin n’arrivait pas,
qu’elle était encore loin. Résultat, on est passé d’une mort
plus ou moins apprivoisée à une terreur généralisée. Au point
que, tout le monde chiant dans son froc dès qu’on prononce le mot,
que, d’ailleurs, on le dit de moins en moins, il est parti, il s’en
est allé, nous a quittés, etc … , et que, même, on finit par ne
plus en parler. Camus, le même, aurait dit une autre phrase profonde
: « Mal nommer les choses, c’est ajouter au malheur du
monde ». Que serait-ce, alors, ne plus les nommer ? La mort est
mon amie. Le suicide ni la mort ne sont pour moi des problèmes
fondamentaux. Sauf, peut-être, leur disparition du discours général.
Pas, en tous cas, leur existence qui n’est, pour moi, qu’un fait.
Avec un avant et un après. Vide, l’après, bien entendu. Cette
question est pour moi l’indice qui révèle imparablement la
confusion entre transcendance et mysticisme, spiritualité et
religion. C’est probablement une différence essentielle avec le
reste du monde et Albert en particulier.
jeudi 18 février 2016
C'est non !...
C’est non !... Parfois,
un être humain est amené à dire non, quoiqu’il lui en coûte
et,là, pour moi, c’est non. Les plus incultes des lettrés vont
croire que je fais ma crise Antigone. Je suis à des années lumière
de cette adolescente entêtée. Très peu d’auteurs ont traité ce
mythe avec subtilité en faisant, par exemple, une place à la raison
d’état qui n’est pas qu’une manifestation concrète de la
langue de bois. Être puissant suppose des devoirs, dont celui
d’assumer ses choix, y compris quand l’histoire vous donne tort.
Sartre aurait parlé de mains sales. Contrairement à mes
contemporains, je ne me reconnais pas dans cette oiselle butée et,
avant tout, indifférente aux avis qui divergent du sien. Ce qui
n’est pas en soi condamnable si l’on ne tient pas compte du sujet
de son entêtement. Vous auriez beau jeu de me reprocher d’être,
moi aussi, totalement insensible à la doxa. Sauf que, pour moi, le
problème qui se pose a à voir avec la majorité. La majorité qui,
justement, de nos jours, adule la jeune Antigone. Or, la question
est, fondamentalement, au nom de quoi ?.... Au nom de quoi Antigone
se mobilise-t-elle ? Et la réponse est évidente. Au nom de la
tradition. De cette tradition qui veut qu’un humain ne le serait
que dans le respect de la dépouille de son prochain. Tradition qui,
vous l’aurez remarqué, ne s’applique qu’aux proches, regardez,
par exemple du côté du traitement que nous, blancs, réservons aux
cadavres noirs ou basanés. Antigone met en jeu sa vie pour le
cadavre de son … frère. Au nom de quoi ? De la transcendance.
Antigone est, à ce titre, la défenderesse de l’unicité de la
transcendance, qui serait, donc, la tradition et, par là, preuve de
l’existence d’un être suprême. Et c’est donc là qu’on
aperçoit, sous le voile de la résistance héroïque de
l’adolescente face au pouvoir, la défense de l’existence du
dieu. Et c’est là, donc, qu’on comprend le succès que notre
époque lui réserve. Car nos temps sont croyants. C’est là, vous
aurez compris, que je dis non.....
Je suis d’une
génération nietzschéenne. N’en déplaise aux intellectuels de
tous poils du temps présents, toutes les grandes références du
siècle précédent le furent. Sartre, Camus, Deleuze, Palante, j’en
passe, y compris Freud et Marx qui n’ont jamais avoué l’avoir lu
et digéré ce qui, pourtant, est et fut tu car inavouable selon leur
conception du monde. Nietzsche reste comme l’intellectuel qui a
affirmé la mort de dieu. Dieu est mort, affirmation nietzschéenne
fondatrice semble être tout ce qu’on en a retenu. Pourtant, cette
affirmation est incomplète. Car Nietzsche donne l’explication de
cette mort et affirme que, si dieu est mort, c’est parce que
l’Homme, l’être humain dans son ensemble, l’a tué. Nietzsche
ne nie pas la pertinence intellectuelle de l’existence d’un être
suprême. Il nous dit simplement que, malgré nos dévotions de
Tartuffe, nous sommes incapables d’affronter cette idée. Nietzsche
est mort en 1900, il y a 116 ans, temps nécessaire à la reconquête
pour la masse informe du peuple toujours prompt à glisser vers le
plus confortable pour son esprit. Je suis né à une époque où la
quetion posée par Nietzsche n’effrayait personne et, donc , pas
plus moi qu’un autre. Pas de dieu au ciel, soit... Et, donc ?.. Que
serait-ce, alors, que la transcendance humaine ? Il fallait se
« prendre le chou », se torturer l’esprit, apprendre et
apprendre encore mais nous le faisions dans la gaieté, comme nous
l’avait suggéré le moustachu, dans la gaieté du savoir. C’est
une époque où la question de dieu était évacuée. Je n’ai pas
écrit « résolue ». Nous avions simplement le courage
intellectuel de la laisser ouverte et d’en renvoyer la résolution
à plus tard. Aucune angoisse ne naissait de ce diffèrement. Vous
l’aurez remarqué, ce n’est plus le cas. La réponse, le peuple
de France et, hélas, de la Terre entière, l’exige dans l’instant.
Ce qui, évidemment aboutit à la défense de son dieu contre celui
de l’autre, au clivage, à la guerre. Malraux, intellectuel croyant
avait prédit, dit-on, que ce siècle serait spirituel ou ne serait
pas. Cette phrase a aujourd’hui le même succès, exactement, que
la jeune Antigone, fille d’Oedipe, pour la simple raison qu’elle
conforte les culs-bénis de toutes les obédiences possibles. Comme
la plupart des prophéties, celles-ci s’avèrera fausse, bien
entendu, puisque le 21° siècle sera à la fois spirituel, c’est à
dire tourné vers la seule spiritualité envisagée par les commun
des mortels, celle d’un « dieu » au cœur du ciel,
sera, donc, déique ET ne sera pas. Parce que nous n’avons
évidemment pas tous le même dieu et que notre entêtement collectif
à confondre transcendance et dieu ne nous amènera que la guerre.
C’est là que je dis
non. Non, désolé, les télés pleines de dieu, de messes, de
cérémonies, d’Allah, de Bouddha, de Javé, de dieu, de papes, de
rabbins, d’imams, de bonzes, seraient-il français et anisés,
c’est non. La figure de dieu comme seule grille d’analyse, c’est
non. C’est non parce qu’il existe sur cette terre une foule
innombrable de gens qui, non seulement n’ont pas besoin de cette
hypothèse, comme disait Laplace, mais, en plus, condamnent avec
force cette faillite de l’esprit que constitue la croyance en un
dieu, en une idéologie, en un dogme, même laïc, condamnent les
présidents cathos, les premiers ministres cathos, les penseurs
cathos, les journalistes cathos, tous les cathos, tous les croyants,
parce qu’ils sont l’expression d’une faillite de l’esprit
humain et, donc, vouables aux gémonies. ... Contre mon époque, je
continue de l’affirmer : dieu est une merde, dieu n’existe pas,
dieu est mort et croire n’est pas plus respectable en soi que toute
autre croyance. Dans mon pays, la France, croire est un droit mais
n’en ouvre aucun, de la même manière qu’il y est permis de
chasser sans que cela soit ni une obligation ni un bien. S’il
existe une chose sacrée sur cette terre, cela ne peut pas être
dieu. Ce pourrait être, éventuellement, s’il faut une
transcendance, la vie. C’est non. C’est non et l’image de ce
« non », c’est un majeur levé. Allez vous faire foutre
!... C’est non. Dieu n’existe pas et je me fous totalement des
explications qu’on tente de m’en fournir. Ce monde n’a pas
besoin d’un dieu. Le seul responsable de la dérive de l’humanité,
qui risque plus que jamais d’aboutir à son anéantissement, c’est
l’être humain. Le déluge, s’il a lieu, sera notre œuvre. C’est
non et je conchie toutes les religions. C’est non !...
Inscription à :
Articles (Atom)