Nous sommes un certain nombre à
n’avoir pas oublié la formule quasi définitive et néanmoins
soixante-huitarde qui définit le mieux le choix politique offert par
les « élites » au « peuple » : la dictature,
c’est ferme ta gueule, la démocratie, c’est cause toujours. La
formule est récente. Le fond du problème est antique. Citons, pour
exemple, les écrits fameux de Machiavel. Mais l’histoire la
philosophie regorge de discours, certains datant même d’avant
l’ère chrétienne, sur la capacité du « peuple » à
comprendre les enjeux, évidemment édictés par les dominants, du
débat politique. Le concept, s’il est invariant au cours des
siècles, n’en a pas moins évolué dans ses formulations. Pour me
concentrer sur mon époque, parce qu’il n’est pas question, ici,
de rédiger un essai à caractère exhaustif, je dirais qu’à l’ère
industrielle correspond un moyen industriel de domination des
consciences. Ce que je daterais, à peu près, de la naissance de la
théorie capitaliste, disons, pour simplifier, avec Locke ou Smith.
Mais ces noms ne suffisent pas à expliquer l’état actuel du
débat. Il faut, pour comprendre intégrer aux concepts définis
comme étant à l’origine du libéralisme économique, que nous
sommes aujourd’hui, manifestement impuissants à dénoncer, les
ajouts qu’y ont apportés tous les tenants plus ou moins conscients
des théories psychanalytiques. Freud, évidemment, dont la
dénonciation actuelle par des intellectuels rétifs et sensibles à
la liberté de penser passe encore pour du dépit, simplement pour la
raison que Freud ne peut pas être formellement identifié comme
responsable de ce qu’il a engendré, du moins ne peut-on déterminer
son degré d’engagement. Est-ce ou non, là, le résultat de ce
qu’il concevait froidement ou bien un accident imprévu de ses
pensées ?... Pour ses disciples libéraux, par contre, aucun doute
n’est possible. Le but de Mr Barneys, neveu de Freud, par exemple,
est clairement la manipulation des masses à but capitaliste, ce
qu’il prouve par son implication dans l’univers de la publicité.
Mais ce discours, qui semble viser uniquement Freud, pourrait tout
aussi bien s’appliquer à Marx ou Nietzsche. Les interprétations
de ces deux penseurs laissent également circonspect. Voulaient-ils
vraiment ce que leurs interprètes ont déduit de leurs œuvres ou
bien sont-ils totalement innocents ? Entendre, par exemple, Mr Minc
dire, goguenard, qu’il est le dernier penseur marxiste de France ou
la sœur de Nietzsche confirmer que son œuvre est authentiquement
nazi ne peut que nous laisser sans voix. La manipulation des masses,
si elle date de la naissance de l’humanité, a donc évolué au
cours des siècles. Aujourd’hui, il me semble qu’elle a pris un
tour quasi purement psychologique. Il me semble que, de nos jours, on
ne laisse au peuple que le choix entre paranoïa et schizophrénie.
Et ce fait me rappelle l’utilisation intensive de la normalité
psychiatrique qu’ont pu faire toutes les sociétés et en tous
temps, contre des artistes comme Van Gogh, par exemple, mais dont le
champion reconnu restera l’Union Soviétique. Il me semble que
l’époque actuelle démontre radicalement que nous ne valons guère
mieux. Pour la paranoïa, il me semble inutile d’insister, en cette
veille de second tour des élections régionales. Pour la
schizophrénie, je pense à tous ces citoyens dont on exige qu’ils
aient une attitude « écologique » irréprochable
cependant qu’on les contraint à acheter pour Noël un tas de
merdouilles « made in China » ou à prendre leur voiture
pour aller chercher le pain..... Le choix du « peuple »
est donc devenu simple et clair : tu t’aimes mieux parano ou schizo
? … La seule vraie différence, pour les dominants, c’est la
marque du cachet à prendre chaque matin. Le choix vous appartient,
évidemment, le principal étant que vous vous sentiez coupables de
quelque chose. Restent tout un tas de gens, plus ou moins cultivés,
qui, ayant quelque lucidité sur la condition humaine, ne souffrent
pas outre mesure d’être à la fois paranos « et »
schizo. Ce qui fait une très importante différence avec la masse,
les paranos ne se sachant pas, en général, tels, pas plus que les
schizo. Pour le pouvoir, le principal est que vous choisissiez entre
l’un et l’autre afin de pouvoir vous opposer.... Les élections
de demain sont, à ce titre, parfaitement démonstratives. Sur les
affiches électorales, on voit très clairement l’opposition
exclusive entre le camp des « paranos » qui vont voter à
droite et le clan de schizo qui vont voter à gauche. Dans ce
contexte, il est facile de voir en ceux, assez peu nombreux, qui ne
veulent à aucun prix faire partie de l’un ou de l’autre camp
sont dérangeants. Je parlerais à ce titre de personnes qui auraient
le « même genre de beauté que moi ». Leur beauté est
bien plus grave qu’on pourrait le croire : ils sont menaçants.
Dans ce cas, le pouvoir possède une arme qu’il nomme « État
d’Urgence »... Sous cette gouvernance, le pouvoir jouit d’un
ensemble d’arguments propres à faire des récalcitrants un membre
de l’un ou l’autre des groupes. On tape un peu sur le crâne des
« gauchistes » dans l’espoir d’en faire enfin des
« paranos », on montre à longueur d’antenne des images
qui incitent les gens de bonne volonté à peser le pour et le contre
de l’autorité abusive afin d’en faire des schizo.... Et vous,
vous avez choisi quel camp ?.... Et vous, vous comprenez quand que
choisir c’est se condamner ?....
samedi 12 décembre 2015
Inscription à :
Articles (Atom)