Quelle peut bien être la différence entre un type comme Freud et son neveu Edward Bernays? Je ne vous parle pas du contraste visible, patent, entre ces deux hommes, entre leurs œuvres, leur héritage. Je vous cause de l’intime. Ce qui a fait que celui-là, Freud, a œuvré pour le bien de ses congénères alors que celui-ci, Bernays, s’est vautré dans l’affreux, le condamnable, l’abjecte. Ils avaient pourtant tous deux compris la même chose: le fait que l’être humain obéit avant tout à ses pulsions inconscientes. Pourquoi l’un décide de nous l’enseigner pour nous soulager et, l’autre, s’en sert pour nous manipuler, nous asservir, nous maltraiter? C’est quoi ce profond mystère qui fait qu’il n’y a pas de connaissance bénéfique dans l’absolu? Que tout dépend toujours des mains dans lesquelles est remise la science? La conscience, disent certains. L’éducation, tonnent d’autres. En fait, on comprend là que Freud a l’avantage. Parce que Freud, lui, saurait nous expliquer pourquoi son neveu déraille. Ce qu’il faut comprendre, c’est non pas que Freud et Bernays partageraient la même science mais que Bernays n’a saisi qu’une petite partie de l’apport de Freud à la compréhension de l’être humain. Il n’a retenu que ce qui lui paraissait utile à sa propre promotion.
Ce que Bernays a compris, c’est que l’être humain ne se comporte pas du tout de la même manière suivant qu’il est considéré comme individu ou bien comme membre d’une foule. Sa théorie sur la communication repose sur le fait que les foules sont manipulables, que leur comportement est tendu vers le “ça” plutôt que vers le moi. Sa compréhension de l’oeuvre de Freud se résume à la psychologie des foules. Qu’en aurait-il été si, d’aventure, il avait saisi plus totalement l’oeuvre de tonton?
On pourrait en arriver à cette conclusion qu’aucune théorie n’est en soi néfaste ou non, conclusion qui semble frappée au coin du bon sens, mais que c’est le niveau de compréhension de l’auditeur, du chargé de mise en application, qui pourrait la rendre nuisible. La nuisance des idées ne serait alors, en fait, qu’un très simple problème d’inculture. Par là, on peut en arriver au fait que Bernays n’était, en fait, qu’un ignorant. D’ailleurs, un coup d’oeil sur sa biographie vous le confirmera.
Freud lui-même ne peut échapper à cette critique, d’ailleurs. Sa théorie, aussi puissante soit-elle, ne peut être considérée comme apte à résoudre tous les problèmes humains. Personnellement, je trouve qu’il faut, pour le moins, lui adjoindre la lecture de Nietzsche, dont l’oeuvre ne peut, elle non plus, être considérée comme suprêmement efficace. Énorme énigme que celle des rapports Freud-Nietzsche. Un critique dit en exergue de son livre sur les deux personnages: ils parlent de la même chose mais pas de la même manière. Freud a-t-il lu Nietzsche? Probablement. Mais son silence sur cette question est assez troublant pour que nous puissions considérer qu’elle est pour lui un problème relativement important.
Si l’on se borne à considérer l’oeuvre de Nietzsche comme une dissertation autour du concept d’individualisme, ce qui est évidemment schématique, on peut néanmoins parvenir à une petite chose assez amusante. En effet, si la théorie de Freud mal comprise peut aboutir à la manipulation de l’inconscient de chacun des membres d’une foule, ce qu’elle ne peut sur chacun de nous pris séparément, le remède est bel et bien l’individualisme. La reprise en main par chacun de son propre libre arbitre, la séparation d’avec le nombre.
Avez-vous noté à quel point l’individualisme et Nietzsche sont vilipendés dans nos sociétés? Sur quoi reposent-elles?
jeudi 7 mai 2009
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